La chapellenie de Saint-Jean-du-Doigt
De 1552 à 1627, par trois fois, les revenus de la chapellenie de Saint-Jean-du-Doigt furent attribués à des étrangers à la paroisse, mais la ténacité et la combativité des habitants de Plougasnou firent, à chaque fois, échouer ces tentatives.
L’église de Saint-Jean-du-Doigt était une simple chapelle succursale de Plougasnou. Dans la première moitié du XVIe siècle, le renom de ce sanctuaire possédant l’insigne relique du doigt de saint Jean-Baptiste attira toujours plus de pèlerins qui lui prodiguaient de riches offrandes.
Les paroissiens de Plougasnou veillaient sur les biens de cette chapelle et élisaient ses fabriques qui, à Pâques, rendaient leurs comptes. Ils avaient ainsi le plus grand intérêt à conserver sous leur dépendance la chapelle dont les revenus permettaient de compléter avantageusement les dépenses paroissiales.
Or en 1552, au détriment des paroissiens, Jean Jouvenel des Ursins, évêque de Tréguier, transforme ce bénéfice ecclésiastique en chapellenie pour une seule personne.
Par acte du 27 janvier 1553, confirmé le 28 mai 1554, Pierre Chouart est nommé, chapelain de Saint-Jean-du-Doigt et prend possession de ce bénéfice le 11 novembre 1554.
Pierre Chouart1, avait été en 1542 receveur et procureur de Jacques Torsolis, nommé par le roi abbé commendataire du Relec. Venu d'Italie avec la dauphine Catherine de Médicis dont il est le premier aumônier, Jacques de Torsolis avait chargé Pierre Chouart d'évincer l'abbé élu du Relec2, Guillaume Le Roux, ce qu'il exécuta avec beaucoup d'habileté grâce à l'argent des banquiers italiens établis en Bretagne, Thomas Strozzi de Rennes, Nicolas Perusi et Barthélémy Ventorini de Nantes. Pierre Chouart paraît avoir été également un bon administrateur. Il fit réparer l'abbaye et rédigea un rentier durant les années 1547-49.
Les habitants de Plougasnou n’acceptent pas cette mutation et considèrent Pierre Chouart, comme un intrus. L’affaire se régla semble-t-il par la nomination à la cure de Plougasnou du chapelain3, qui ainsi pouvait légitiment bénéficier du tiers des offrandes de l’église et de la chapelle.
L’histoire aurait pu s’arrêter là, si un deuxième prétendant à la chapellenie n’était sur les rangs, en la personne de Jean Eudes, seigneur du Viviers, normand d’Honfleur, abbé de Saint-Maurice de Carnoët et doyen du Folgoët4. Le 4 janvier 1555, celui-ci obtient des lettres du Roi l’autorisant à avoir recours à un magistrat pour prendre possession de la chapellenie de Saint-Jean-du-Doigt, avec sanctions contre ceux qui voudraient s'y opposer.
Mais Jean Eudes éprouve une telle résistance des habitants de Plougasnou qu’il n’arrive pas à entrer en possession de son bénéfice et finalement est contraint d’y renoncer sans avoir exigé une compensation de 1000 livres, payable en trois fois. Les paroissiens de Plougasnou seront confirmés dans leurs droits par un arrêt du Parlement daté du 28 août 1560. Ci-joint le récit que fait Louis Le Guennec des conflits et troubles au sanctuaire de Saint-Jean-du-Doigt en 1555 d’après les archives qu’il avait consulté à la mairie de Plougasnou, au presbytère de Saint-Jean-du-Doigt et au presbytère de Plougasnou.
(http://www.infobretagne.com/saint-jean-du-doigt.htm)
« Jean Eudes obtenait du Roi, le 4 janvier 1555, des lettres patentes données à Blois et scellées de cire jaune évoquant toute la procédure au Grand Conseil, et autorisant l'impétrant à se faire assister d'un magistrat pour prendre réellement possession de son bénéfice, menaçant ceux qui voudraient s'y opposer « par forcze et viollance » d'une « pugnition et réparation exemplaire ».
En vertu de ces lettres, Yves du Cosquer, sieur de Rosambaou, et René de Boisgeslin, sieur dudit lieu, procureurs de Jean Eudes, sommèrent le sénéchal de Carhaix, Regnault de Botloy, de les accompagner jusqu'au bourg de Saint-Jean-du-Doigt, afin d'y accomplir les actes possessoires requis. Il faut croire que l'entreprise, offrait un certain péril, car on organisa une véritable petite expédition guerrière, composée dudit sénéchal, des sénéchal et procureur de Morlaix, des deux gentilshommes nommés plus haut, de deux sergents, d'un greffier, sans compter «plusieurs autres » chargés de prêter main-forte le cas échéant.
Le 9 mars 1555, on quitta Morlaix dès l’aube, et vers dix heures du matin, on arrivait à Saint-Jean. Malgré toutes les précautions prises, l'alarme était déjà donnée, et deux prêtres, après avoir enlevé toutes les clefs, s'étaient éclipsés, l'un dans les guérites du clocher, l'autre dans la maison des chapelains. On fouilla aussitôt la tour jusqu'en ses recoins les plus secrets sans rien découvrir; quant à la porte de la chapellenie, elle était fermée à double tour et ne s'ouvrit point devant les sommations « par plusieurs et reyterées foys » des juges royaux. Mais, comme le singe de la fable, c'était surtout après la pécune que baillait Maître Eudes en la personne de ses représentants. On abandonna donc cet huys indocile pour pénétrer dans l'église et « faire perquistion des deniers et offrandes de ladite chapelle ».
Le premier coffre visité, « en forme de buffet fermant à deux cleffz », causa une déception amère; au lieu d'espèces tintantes et trébuchantes, il ne contenait qu' « ung petict livre ». Nos gens se dédommagèrent en explorant minutieusement tous les troncs, ce qui leur permit de réunir « la somme de deux centz dix ouict livres tournois en plusieurs espèces de monnoye ». Comme ils supputaient leur aubaine, survint Maître Alain Cadlen, recteur de Pleumeur Gautier, vicaire et curé de Plougasnou sous Pierre Chouart, qui s'opposa formellement au nom de celui-ci, à toute mainmise sur les offrandes... à moins d'en avoir sa part. Sur cette base, on pouvait s'entendre. Le vicaire reçut ce tiers que la coutume attribuait au recteur, et les deux autres tiers furent empochés par le sieur de Boisgeslin, avec promesse de les remettre à Jean Eudes. Puis, ayant fait cadenasser et clore le principal tronc, dont il confia les deux clefs audit Boisgelin et au sieur de Rosambaou, le sénéchal de Carhaix fit proclamer par ses sergents, sur la place du bourg « inhibition et deflanzce tant audit recteur et Cadlen que aultres de non trobler ne molester ledit Eudes sur ladite possession sur les paynes portées par les lettres du Roy », et reprit, par la voie romaine de Lanmeur à Primel Ie chemin de l'antique Vorganium.»
Cette rafle de l'argent qu'ils estimaient leur légitimement appartenir irrita fort les paroissiens de Plougasnou, et leur mauvaise humeur n'était point apaisée lorsque, cinq mois plus tard, le jour du grand pardon du 23 juin, Regnault de Botloy réapparut à Saint Jean du Doigt, flanqué du sieur de Rosambaou et de divers acolytes, « le greffier de Lannion Louis Pilven, sergent royal, François Hélias, Pierre du Cosquer, François de Kercabin, François Ploesquellec, receveur du Roy à Mourlaix et plusieurs aultres en grand nombre ». Le digne magistrat revenait en dessein de s'emparer, pour le compte de Jean Eudes du Vivier, des oblations déposées par les pèlerins aux troncs de la chapelle, et il s'était entouré d'un appareil belliqueux de nature à déconcerter tout projet de résistance. En pénétrant dans l'église, M. de Botloy y trouva plusieurs prêtres occupés à recevoir les offrandes. Il leur commanda de se retirer aussitôt ; « d'eulx ayant voullu faire reffuz et resistancze », il les expulsa sans courtoisie, et les remplaça dans leurs, fonctions par des gens de sa troupe. Tandis que ces derniers « assistoient sur les reliquaires de ladite chapelle », Maître Alain Cadlen comparut de nouveau, pour la conservation des droits du recteur et protesta au nom de Pierre Chouart « que le gouvernement de ladite chapelle luy appartenoit, en estant pourveu par le Roy. »
Dans l'après-midi, le sénéchal de Carhaix assista pieusement aux vêpres « en grande assemblée et congrégation de peuple », et le soir venu, « après que la plus grande part du peuple s'estoint retirez », il fit l'inventaire du contenu des troncs. Les clefs ayant disparu des serrures, il les remplaça par des sceaux à l'empreinte de ses armes, puis se retira en son logis, non sans avoir intimé l'ordre à ses compagnons de monter toute la nuit une vigilante faction autour des précieux coffres.
Le lendemain, dès sept heures du matin, Regnault de Botloy était au portail du cimetière. Il y rencontra Prigent Marec, gentilhomme de la paroisse, qui lui déclara être le gouverneur élu de la chapelle et prétendre vouloir en remplir les fonctions, nonobstant toutes prohibitions et défenses. Comme il refusait de restituer les clefs et répondait arrogamment au sénéchal, celui-ci le fit saisir et enfermer dans la prison située au bas de l'église. Cette arrestation fut le signal d'une bagarre. « Plusieurs mariniers et aultres de la paroisse de Ploegaznou », de ces hommes peu endurants dont les descendants se qualifiaient plus tard, avec un accent farouche qui frappa Cambry, « les durs gars de la zone maritime (pofred kallet euz an Arvotik), assaillirent les gens du magistrat en s'écriant, rapporte-t-il, « que pour ung que nous estions allés en ladite commission, il y auroict trante contre nous ». On les repoussa cependant, mais un des serviteurs de M. de Botloy, François Guillemot, avait été par eux si rudement « excédé » qu'il gisait sur le sol, baignant dans son sang. Son maître le mit entre les mains des barbiers, qui trouvèrent le pauvre diable « en estât de mort », puis se lança à la poursuite des meurtriers. On lui désigna l'un d'eux qu'il arrêta et remit aux officiers de la juridiction de Plougasnou; ceux-ci peu disposés à seconder les entreprises de l'étranger Eudes, laissèrent-presque aussitôt leur prisonnier s'esquiver. Le pardon se termina dans une grande agitation; à la nuit tombante, notre sénéchal revint aux troncs, les ouvrit, compta tout l'argent qu'ils renfermaient, le répartit selon la proportion du tiers au recteur et des deux tiers à son commettant, et partit le lendemain matin pour Lannion, emmenant en otage le vaillant Prigent Marec, qui avait laissé bouleverser sa maison sans vouloir dire où il dissimulait les introuvables clefs des coffres de la chapelle.
Les paroissiens de Plougasnou avaient heureusement un puissant protecteur en la personne de Charles de Bourbon, prince de la Roche-sur-Yon, dont la femme Philippette de Montespédon comptait, parmi les nombreux fiefs de son opulent héritage, ceux de Plougasnou et de Bodister. Ils ne manquèrent pas sans doute de recourir à ses bons offices pour mettre un frein à la scandaleuse avidité du nouveau chapelain, et durent à leur seigneur d'obtenir, le 1er juin 1556, des lettres du Grand Conseil données à Melun qui leur permirent de « faire vacquer a enqueste des ravissementz, spoliations, forcze et insolences perpétrées par Jehan Eudes... touchant les biens de ladite chappelle ». Trois ans plus tard, sans que la disparition presque complète des pièces de procédure nous fasse rien connaître des événements intermédiaires, le dit Jehan Eudes, lassé des difficultés qu'il éprouvait à exploiter son bénéfice, transigeait avec les gens de Plougasnou et s'engageait devant leurs représentants « nobles gentz Yvon de Kernechcan, sieur de Lantrennou, Fiacre de Guicaznou, sieur de Keromnès, Claude de Quélen, sieur de Ponplancoët, François Corre, sieur de Kerlamarec, Maistres Laurent Lancien, Guillaume Postic, Geffroy Le Goff, Nicolas Gaouier, Fiacre Brelledy, prêtres, », etc., « à se départir et renunczer à tout droit qu'il a et pourroit avoir sur ladite église de Sainct Jehan, fruictz, revenus et oblations d'icelle », moyennant le versement de la somme de mille livres tournois, payable : trois cent livres rendues en son abbaye de Saint Maurice dans un délai de vingt jours, deux cent livres au premier juillet de l'année suivante, et enfin cinq cent livres à payer le même jour, dans deux ans. Deux jours après la signature de cet accord en la maison d'Amicze Maran à Morlaix, il recevait des mains du sieur de Kerlamarec et de Maître Jean Roparz, prêtre, le 11 juin 1559, un acompte de trois cent livres en 80 pistoles, 9 angelots, 18 doubles ducats, 6 croisades, 5 écus d'or et le parsus en monnaie blanche, au taux du Roi. La transaction intervenue ne fut homologuée au Grand Conseil que le 15 juin 1563, et l'on voit, par un exploit d'huissier en date du 18 octobre suivant, qu'écuyer Richard Eudes, sieur de Beauvoir, procureur de Jean Eudes, faisait alors exécuter les biens des signataires de cette transaction pour les obliger à payer un reliquat de cinq cents livres non encore versées. Quelques-uns furent même emprisonnés à Morlaix, où Richard Eudes consentit, le 10 novembre, à leur élargissement.
« Temps de troubles », écrit, après le nom de Pierre Chouart, l'archiviste Jean-François Clech, dans la liste qu'il nous a laissée des recteurs de Plougasnou, et il émet un peu plus loin la réflexion suivante : « Remarquer que les paroissiens, s'étant trouvés comme obligés de racheter les biens de la dite chapelle (de Saint Jean) lorsqu'elle avoit été érigée en chapellenie en 1552 pour Messire Jean Eudes, abbé de Saint Maurice, pourvu d'icelle, s'étoient depuis tellement crus les dispensateurs, administrateurs et même possesseurs desdits biens qu'ils n'ont jamais balancé de croire qu'il ne leur fût loisible d'en disposer en tout et partie lorsque leur bien commun le demande ». Ce qui contribua surtout à donner aux braves gens de Plougasnou la conviction que la riche chapelle leur appartenait en propre, ce sont les lettres de sauvegarde et de maintenue que François II leur accorda à Nantes, le 28 août 1560, sur l'exposé pathétique qu'ils lui avaient fait des « yiollances, scandales, excez et malversations commis en icelle église par gens incogneuz et estrangiers, spoliant et ravissant les deniers des oblations, qui est grande diminution de l'honneur de Dieu et de Monsieur Sainct Jehan, de dévotion des pèlerins et du service divin, et mettre ruine en icelle ». Peut-être finirent-ils par abuser, car lorsqu'en 1784, les tréviens voulurent se séparer de la mère paroisse et avoir un corps politique distinct, leur principal grief fut la dilapidation des fonds de la fabrique de Saint Jean par le général de Plougasnou. On plaida ferme là-dessus jusqu'à la fin de l'ancien régime, et Saint Jean élisait en 1790 sa première municipalité, sans se douter que le culte du Précurseur allait bientôt, du fait des événements politiques, subir une atteinte plus grave que ne l'avaient été, au XVIe siècle, les entreprises du rapace et futur huguenot Jean Eudes.
Louis Le Guennec
Les paroissiens de Plougasnou veillaient sur les biens de cette chapelle et élisaient ses fabriques qui, à Pâques, rendaient leurs comptes. Ils avaient ainsi le plus grand intérêt à conserver sous leur dépendance la chapelle dont les revenus permettaient de compléter avantageusement les dépenses paroissiales.
Or en 1552, au détriment des paroissiens, Jean Jouvenel des Ursins, évêque de Tréguier, transforme ce bénéfice ecclésiastique en chapellenie pour une seule personne.
Par acte du 27 janvier 1553, confirmé le 28 mai 1554, Pierre Chouart est nommé, chapelain de Saint-Jean-du-Doigt et prend possession de ce bénéfice le 11 novembre 1554.
Pierre Chouart1, avait été en 1542 receveur et procureur de Jacques Torsolis, nommé par le roi abbé commendataire du Relec. Venu d'Italie avec la dauphine Catherine de Médicis dont il est le premier aumônier, Jacques de Torsolis avait chargé Pierre Chouart d'évincer l'abbé élu du Relec2, Guillaume Le Roux, ce qu'il exécuta avec beaucoup d'habileté grâce à l'argent des banquiers italiens établis en Bretagne, Thomas Strozzi de Rennes, Nicolas Perusi et Barthélémy Ventorini de Nantes. Pierre Chouart paraît avoir été également un bon administrateur. Il fit réparer l'abbaye et rédigea un rentier durant les années 1547-49.
Les habitants de Plougasnou n’acceptent pas cette mutation et considèrent Pierre Chouart, comme un intrus. L’affaire se régla semble-t-il par la nomination à la cure de Plougasnou du chapelain3, qui ainsi pouvait légitiment bénéficier du tiers des offrandes de l’église et de la chapelle.
L’histoire aurait pu s’arrêter là, si un deuxième prétendant à la chapellenie n’était sur les rangs, en la personne de Jean Eudes, seigneur du Viviers, normand d’Honfleur, abbé de Saint-Maurice de Carnoët et doyen du Folgoët4. Le 4 janvier 1555, celui-ci obtient des lettres du Roi l’autorisant à avoir recours à un magistrat pour prendre possession de la chapellenie de Saint-Jean-du-Doigt, avec sanctions contre ceux qui voudraient s'y opposer.
Mais Jean Eudes éprouve une telle résistance des habitants de Plougasnou qu’il n’arrive pas à entrer en possession de son bénéfice et finalement est contraint d’y renoncer sans avoir exigé une compensation de 1000 livres, payable en trois fois. Les paroissiens de Plougasnou seront confirmés dans leurs droits par un arrêt du Parlement daté du 28 août 1560. Ci-joint le récit que fait Louis Le Guennec des conflits et troubles au sanctuaire de Saint-Jean-du-Doigt en 1555 d’après les archives qu’il avait consulté à la mairie de Plougasnou, au presbytère de Saint-Jean-du-Doigt et au presbytère de Plougasnou.
(http://www.infobretagne.com/saint-jean-du-doigt.htm)
« Jean Eudes obtenait du Roi, le 4 janvier 1555, des lettres patentes données à Blois et scellées de cire jaune évoquant toute la procédure au Grand Conseil, et autorisant l'impétrant à se faire assister d'un magistrat pour prendre réellement possession de son bénéfice, menaçant ceux qui voudraient s'y opposer « par forcze et viollance » d'une « pugnition et réparation exemplaire ».
En vertu de ces lettres, Yves du Cosquer, sieur de Rosambaou, et René de Boisgeslin, sieur dudit lieu, procureurs de Jean Eudes, sommèrent le sénéchal de Carhaix, Regnault de Botloy, de les accompagner jusqu'au bourg de Saint-Jean-du-Doigt, afin d'y accomplir les actes possessoires requis. Il faut croire que l'entreprise, offrait un certain péril, car on organisa une véritable petite expédition guerrière, composée dudit sénéchal, des sénéchal et procureur de Morlaix, des deux gentilshommes nommés plus haut, de deux sergents, d'un greffier, sans compter «plusieurs autres » chargés de prêter main-forte le cas échéant.
Le 9 mars 1555, on quitta Morlaix dès l’aube, et vers dix heures du matin, on arrivait à Saint-Jean. Malgré toutes les précautions prises, l'alarme était déjà donnée, et deux prêtres, après avoir enlevé toutes les clefs, s'étaient éclipsés, l'un dans les guérites du clocher, l'autre dans la maison des chapelains. On fouilla aussitôt la tour jusqu'en ses recoins les plus secrets sans rien découvrir; quant à la porte de la chapellenie, elle était fermée à double tour et ne s'ouvrit point devant les sommations « par plusieurs et reyterées foys » des juges royaux. Mais, comme le singe de la fable, c'était surtout après la pécune que baillait Maître Eudes en la personne de ses représentants. On abandonna donc cet huys indocile pour pénétrer dans l'église et « faire perquistion des deniers et offrandes de ladite chapelle ».
Le premier coffre visité, « en forme de buffet fermant à deux cleffz », causa une déception amère; au lieu d'espèces tintantes et trébuchantes, il ne contenait qu' « ung petict livre ». Nos gens se dédommagèrent en explorant minutieusement tous les troncs, ce qui leur permit de réunir « la somme de deux centz dix ouict livres tournois en plusieurs espèces de monnoye ». Comme ils supputaient leur aubaine, survint Maître Alain Cadlen, recteur de Pleumeur Gautier, vicaire et curé de Plougasnou sous Pierre Chouart, qui s'opposa formellement au nom de celui-ci, à toute mainmise sur les offrandes... à moins d'en avoir sa part. Sur cette base, on pouvait s'entendre. Le vicaire reçut ce tiers que la coutume attribuait au recteur, et les deux autres tiers furent empochés par le sieur de Boisgeslin, avec promesse de les remettre à Jean Eudes. Puis, ayant fait cadenasser et clore le principal tronc, dont il confia les deux clefs audit Boisgelin et au sieur de Rosambaou, le sénéchal de Carhaix fit proclamer par ses sergents, sur la place du bourg « inhibition et deflanzce tant audit recteur et Cadlen que aultres de non trobler ne molester ledit Eudes sur ladite possession sur les paynes portées par les lettres du Roy », et reprit, par la voie romaine de Lanmeur à Primel Ie chemin de l'antique Vorganium.»
Cette rafle de l'argent qu'ils estimaient leur légitimement appartenir irrita fort les paroissiens de Plougasnou, et leur mauvaise humeur n'était point apaisée lorsque, cinq mois plus tard, le jour du grand pardon du 23 juin, Regnault de Botloy réapparut à Saint Jean du Doigt, flanqué du sieur de Rosambaou et de divers acolytes, « le greffier de Lannion Louis Pilven, sergent royal, François Hélias, Pierre du Cosquer, François de Kercabin, François Ploesquellec, receveur du Roy à Mourlaix et plusieurs aultres en grand nombre ». Le digne magistrat revenait en dessein de s'emparer, pour le compte de Jean Eudes du Vivier, des oblations déposées par les pèlerins aux troncs de la chapelle, et il s'était entouré d'un appareil belliqueux de nature à déconcerter tout projet de résistance. En pénétrant dans l'église, M. de Botloy y trouva plusieurs prêtres occupés à recevoir les offrandes. Il leur commanda de se retirer aussitôt ; « d'eulx ayant voullu faire reffuz et resistancze », il les expulsa sans courtoisie, et les remplaça dans leurs, fonctions par des gens de sa troupe. Tandis que ces derniers « assistoient sur les reliquaires de ladite chapelle », Maître Alain Cadlen comparut de nouveau, pour la conservation des droits du recteur et protesta au nom de Pierre Chouart « que le gouvernement de ladite chapelle luy appartenoit, en estant pourveu par le Roy. »
Dans l'après-midi, le sénéchal de Carhaix assista pieusement aux vêpres « en grande assemblée et congrégation de peuple », et le soir venu, « après que la plus grande part du peuple s'estoint retirez », il fit l'inventaire du contenu des troncs. Les clefs ayant disparu des serrures, il les remplaça par des sceaux à l'empreinte de ses armes, puis se retira en son logis, non sans avoir intimé l'ordre à ses compagnons de monter toute la nuit une vigilante faction autour des précieux coffres.
Le lendemain, dès sept heures du matin, Regnault de Botloy était au portail du cimetière. Il y rencontra Prigent Marec, gentilhomme de la paroisse, qui lui déclara être le gouverneur élu de la chapelle et prétendre vouloir en remplir les fonctions, nonobstant toutes prohibitions et défenses. Comme il refusait de restituer les clefs et répondait arrogamment au sénéchal, celui-ci le fit saisir et enfermer dans la prison située au bas de l'église. Cette arrestation fut le signal d'une bagarre. « Plusieurs mariniers et aultres de la paroisse de Ploegaznou », de ces hommes peu endurants dont les descendants se qualifiaient plus tard, avec un accent farouche qui frappa Cambry, « les durs gars de la zone maritime (pofred kallet euz an Arvotik), assaillirent les gens du magistrat en s'écriant, rapporte-t-il, « que pour ung que nous estions allés en ladite commission, il y auroict trante contre nous ». On les repoussa cependant, mais un des serviteurs de M. de Botloy, François Guillemot, avait été par eux si rudement « excédé » qu'il gisait sur le sol, baignant dans son sang. Son maître le mit entre les mains des barbiers, qui trouvèrent le pauvre diable « en estât de mort », puis se lança à la poursuite des meurtriers. On lui désigna l'un d'eux qu'il arrêta et remit aux officiers de la juridiction de Plougasnou; ceux-ci peu disposés à seconder les entreprises de l'étranger Eudes, laissèrent-presque aussitôt leur prisonnier s'esquiver. Le pardon se termina dans une grande agitation; à la nuit tombante, notre sénéchal revint aux troncs, les ouvrit, compta tout l'argent qu'ils renfermaient, le répartit selon la proportion du tiers au recteur et des deux tiers à son commettant, et partit le lendemain matin pour Lannion, emmenant en otage le vaillant Prigent Marec, qui avait laissé bouleverser sa maison sans vouloir dire où il dissimulait les introuvables clefs des coffres de la chapelle.
Les paroissiens de Plougasnou avaient heureusement un puissant protecteur en la personne de Charles de Bourbon, prince de la Roche-sur-Yon, dont la femme Philippette de Montespédon comptait, parmi les nombreux fiefs de son opulent héritage, ceux de Plougasnou et de Bodister. Ils ne manquèrent pas sans doute de recourir à ses bons offices pour mettre un frein à la scandaleuse avidité du nouveau chapelain, et durent à leur seigneur d'obtenir, le 1er juin 1556, des lettres du Grand Conseil données à Melun qui leur permirent de « faire vacquer a enqueste des ravissementz, spoliations, forcze et insolences perpétrées par Jehan Eudes... touchant les biens de ladite chappelle ». Trois ans plus tard, sans que la disparition presque complète des pièces de procédure nous fasse rien connaître des événements intermédiaires, le dit Jehan Eudes, lassé des difficultés qu'il éprouvait à exploiter son bénéfice, transigeait avec les gens de Plougasnou et s'engageait devant leurs représentants « nobles gentz Yvon de Kernechcan, sieur de Lantrennou, Fiacre de Guicaznou, sieur de Keromnès, Claude de Quélen, sieur de Ponplancoët, François Corre, sieur de Kerlamarec, Maistres Laurent Lancien, Guillaume Postic, Geffroy Le Goff, Nicolas Gaouier, Fiacre Brelledy, prêtres, », etc., « à se départir et renunczer à tout droit qu'il a et pourroit avoir sur ladite église de Sainct Jehan, fruictz, revenus et oblations d'icelle », moyennant le versement de la somme de mille livres tournois, payable : trois cent livres rendues en son abbaye de Saint Maurice dans un délai de vingt jours, deux cent livres au premier juillet de l'année suivante, et enfin cinq cent livres à payer le même jour, dans deux ans. Deux jours après la signature de cet accord en la maison d'Amicze Maran à Morlaix, il recevait des mains du sieur de Kerlamarec et de Maître Jean Roparz, prêtre, le 11 juin 1559, un acompte de trois cent livres en 80 pistoles, 9 angelots, 18 doubles ducats, 6 croisades, 5 écus d'or et le parsus en monnaie blanche, au taux du Roi. La transaction intervenue ne fut homologuée au Grand Conseil que le 15 juin 1563, et l'on voit, par un exploit d'huissier en date du 18 octobre suivant, qu'écuyer Richard Eudes, sieur de Beauvoir, procureur de Jean Eudes, faisait alors exécuter les biens des signataires de cette transaction pour les obliger à payer un reliquat de cinq cents livres non encore versées. Quelques-uns furent même emprisonnés à Morlaix, où Richard Eudes consentit, le 10 novembre, à leur élargissement.
« Temps de troubles », écrit, après le nom de Pierre Chouart, l'archiviste Jean-François Clech, dans la liste qu'il nous a laissée des recteurs de Plougasnou, et il émet un peu plus loin la réflexion suivante : « Remarquer que les paroissiens, s'étant trouvés comme obligés de racheter les biens de la dite chapelle (de Saint Jean) lorsqu'elle avoit été érigée en chapellenie en 1552 pour Messire Jean Eudes, abbé de Saint Maurice, pourvu d'icelle, s'étoient depuis tellement crus les dispensateurs, administrateurs et même possesseurs desdits biens qu'ils n'ont jamais balancé de croire qu'il ne leur fût loisible d'en disposer en tout et partie lorsque leur bien commun le demande ». Ce qui contribua surtout à donner aux braves gens de Plougasnou la conviction que la riche chapelle leur appartenait en propre, ce sont les lettres de sauvegarde et de maintenue que François II leur accorda à Nantes, le 28 août 1560, sur l'exposé pathétique qu'ils lui avaient fait des « yiollances, scandales, excez et malversations commis en icelle église par gens incogneuz et estrangiers, spoliant et ravissant les deniers des oblations, qui est grande diminution de l'honneur de Dieu et de Monsieur Sainct Jehan, de dévotion des pèlerins et du service divin, et mettre ruine en icelle ». Peut-être finirent-ils par abuser, car lorsqu'en 1784, les tréviens voulurent se séparer de la mère paroisse et avoir un corps politique distinct, leur principal grief fut la dilapidation des fonds de la fabrique de Saint Jean par le général de Plougasnou. On plaida ferme là-dessus jusqu'à la fin de l'ancien régime, et Saint Jean élisait en 1790 sa première municipalité, sans se douter que le culte du Précurseur allait bientôt, du fait des événements politiques, subir une atteinte plus grave que ne l'avaient été, au XVIe siècle, les entreprises du rapace et futur huguenot Jean Eudes.
Louis Le Guennec
Église et fontaine de Saint-Jean-du-Doigt (dessin d'Eugène Cicéri, publié dans Félix Benoist, La Bretagne contemporaine, tome Finistère, 1867).
La description par Le Guennec du personnage de Jean Eudes, rapace et futur huguenot, est à charge. Il faut néanmoins le situer dans son contexte historique. Á cette époque, les rois de France, et en particulier leur mère Catherine de Médicis, encouragent les aventuriers qui se lancent dans des expéditions vers l’Afrique et les Amériques. Ainsi Troïlus du Mesgouez, ancien page de la reine-mère, est nommé gouverneur de Morlaix en 1568. Cette fonction l’amène à connaître les profits que rapportent à Saint-Malo les pêcheries et la traite des fourrures sur les côtes d’Amérique. L’idée lui vient alors d’entreprendre le «trafic » des Terres-Neuves. Son ascension est alors rapide ; en 1574, il préside la noblesse aux États de Nantes. En 1576, il est fait marquis et il est nommé en 1578, par le roi Henri III, gouverneur, lieutenant général et vice-roi « esdites Terres Neuves d'Amérique », avec pouvoir de gouverner cette colonie.
Jean Eudes paraît être de cette coterie. Mais encore fallait-il trouver le financement de ces expéditions et quoi de plus naturel que d’aller se servir dans les sources inépuisables de cette époque, les chapelles de pèlerinage. En plus de Saint-Jean-du-Doigt, Jean Eudes est ainsi nommé doyen du Folgoët dont il vend en 1565 quelques propriétés et abbé de Saint-Maurice de Carnoët dont il saisit les cloches pour « envoyer à La Rochelle fondre du canon ». Ainsi il peut s’associer, entre 1574 et 1577, à des expéditions sur les côtes de Guinée et du Brésil.
Jean Eudes paraît être de cette coterie. Mais encore fallait-il trouver le financement de ces expéditions et quoi de plus naturel que d’aller se servir dans les sources inépuisables de cette époque, les chapelles de pèlerinage. En plus de Saint-Jean-du-Doigt, Jean Eudes est ainsi nommé doyen du Folgoët dont il vend en 1565 quelques propriétés et abbé de Saint-Maurice de Carnoët dont il saisit les cloches pour « envoyer à La Rochelle fondre du canon ». Ainsi il peut s’associer, entre 1574 et 1577, à des expéditions sur les côtes de Guinée et du Brésil.
Église de Roscoff, caravelle, vers 1560
Jean Eudes écarté, les paroissiens recouvrent alors leurs ressources et se lancent dans une impressionnante série de travaux que les guerres de la ligue interrompent pendant une dizaine d’années. Le premier d’entre eux est la construction de 1566 à 1571 d’une flèche en charpente recouverte de plomb sur la tour de Saint-Jean-du-Doigt ; puis viennent la porte sud de l’église de Plougasnou (1574), l’oratoire de Saint-Jean (1576-1577), la tour de Plougasnou (1589-1612), le porche sud de Plougasnou (1615-1616) et le reliquaire de Saint-Jean (1618).
En 1626, les paroissiens sont à nouveau dans l’obligation d’engager un procès contre Jean Fouquet, doyen du Folgoët et prieur de Lochrist-an-Izelvet, pourvu de la chapellenie1. En août 1627, les juges de la sénéchaussée de Lanmeur font l'inventaire des biens de l'église et établissent un procès-verbal. Mais comme les tentatives précédentes de Pierre Chouart et Jean Eudes, Jean Fouquet n'aura pas gain de cause et la chapelle restera sous l'administration des paroissiens de Plougasnou qui investiront désormais dans l’aménagement intérieur de leurs églises.
La famille Fouquet
Issu d'une famille de marchands angevins puis de parlementaires, qui fournira Nicolas Fouquet, célèbre surintendant des finances, Jean Fouquet est en 1626, doyen du Folgoët et prieur de Lochrist-an-Ivelzet, grâce à son oncle Isaac, qui avait résigné ces deux charges en sa faveur. Trésorier de Saint-Martin de Tours, ce dernier avait établi de faux documents pour donner une origine noble à sa famille qui allait largement en profiter par la suite.
Christian Millet
En 1626, les paroissiens sont à nouveau dans l’obligation d’engager un procès contre Jean Fouquet, doyen du Folgoët et prieur de Lochrist-an-Izelvet, pourvu de la chapellenie1. En août 1627, les juges de la sénéchaussée de Lanmeur font l'inventaire des biens de l'église et établissent un procès-verbal. Mais comme les tentatives précédentes de Pierre Chouart et Jean Eudes, Jean Fouquet n'aura pas gain de cause et la chapelle restera sous l'administration des paroissiens de Plougasnou qui investiront désormais dans l’aménagement intérieur de leurs églises.
La famille Fouquet
Issu d'une famille de marchands angevins puis de parlementaires, qui fournira Nicolas Fouquet, célèbre surintendant des finances, Jean Fouquet est en 1626, doyen du Folgoët et prieur de Lochrist-an-Ivelzet, grâce à son oncle Isaac, qui avait résigné ces deux charges en sa faveur. Trésorier de Saint-Martin de Tours, ce dernier avait établi de faux documents pour donner une origine noble à sa famille qui allait largement en profiter par la suite.
Christian Millet
1 Pierre Chouart est dit originaire de Picardie mais il existe une famille Chouart propriétaire de plusieurs fiefs dans les environs de Rennes. Un autre Pierre Chouart a été scholastique de Rennes avant 1470.
2 Bourde de la Rogerie, Henri, Analyse d'un compte de l'abbaye du Relec 1542-46 - Bull. Soc. Archéol. du Finistère 1904 p. 60-72
Comptes de l'abbaye du Relec, Arch. dép. du Finistère H 53
3 Pierre Chouart accumulait les bénéfices ; en 1554, il était recteur de Saint-Aubin. Vers 1560, il était chantre, official et chanoine de Tréguier recteur de Guimaëc, Plougasnou et Plouézoc'h.
4 Louis Le Guennec pense que Pierre Chouart et Jean Eudes eurent en même temps la même faveur c’est-à-dire l'érection en titre de chapellenie de « l'oratoire de Sainct Jehan du Doy, paroisse de Plougaznou, evesché de Lantreguier ».
5 Arch. dép. du Finistère 245 G 24.
2 Bourde de la Rogerie, Henri, Analyse d'un compte de l'abbaye du Relec 1542-46 - Bull. Soc. Archéol. du Finistère 1904 p. 60-72
Comptes de l'abbaye du Relec, Arch. dép. du Finistère H 53
3 Pierre Chouart accumulait les bénéfices ; en 1554, il était recteur de Saint-Aubin. Vers 1560, il était chantre, official et chanoine de Tréguier recteur de Guimaëc, Plougasnou et Plouézoc'h.
4 Louis Le Guennec pense que Pierre Chouart et Jean Eudes eurent en même temps la même faveur c’est-à-dire l'érection en titre de chapellenie de « l'oratoire de Sainct Jehan du Doy, paroisse de Plougaznou, evesché de Lantreguier ».
5 Arch. dép. du Finistère 245 G 24.
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