1914-1918 – Plougasnou et la grande guerre.
Il y a cent ans, dans les premiers jours de mois d’août 1914, le tocsin de l’église de Plougasnou appelait à la mobilisation générale. Une guerre des plus meurtrières commençait.
139 noms de plouganistes figurent sur le tableau des morts pour la France, situé dans l’église paroissiale. Pierre Merret, dans son livre « Des plouganistes sur tous les fronts » nous a montré que la liste était loin d’être complète ; de plus les soldats morts après 1918 des suites de blessures physiques ou psychologiques n’y figurent pas.
Pour évoquer cette période, nous avons repris ici un article d’un natif du pays, Marcel Doher (1905-1977), qui a réactivé ses souvenirs d’enfance.
Il était né au quartier Bel-Air en Plougasnou. Ses articles dans le « Carillon du Trégor » Plougasnou et la guerre de 14-18, Paysages, sites et vieilles maisons, Plougasnou, il y a 400 ans et Les noms propres en bretons à Plougasnou constituent des documents précieux sur une époque révolue. Ses lecteurs appréciaient la verve, la couleur et la vérité de ses textes. À sa façon de raconter on sentait une profonde sensibilité (1), ainsi qu'un attachement indéfectible au pays de ses pères.
Jean-François JOLY – août 2014
1- Le Carillon du Trégor - n° 40, février 1977. L’article « Plougasnou et la guerre de 14-18 » est paru dans ce même bulletin en 1974.
PLOUGASNOU et la GUERRE 1914-18
par Marcel DOHER Article paru dans "Le Carillon du Trégor" (d'avril à juin 1974) et publié avec l'autorisation de Mr Roland DOHER, fils de Marcel DOHER J'ai déjà eu le plaisir de revivre avec vous, dans "Le Carillon" l'existence que nous vivions dans notre vieux Plougasnou, il y a 60 ans. Survint la Guerre de 1914-1918, la "Grande Guerre ". Quels étaient notre état d'esprit, nos sentiments dans la période qui la précéda? Quelles furent les répercussions de la guerre sur notre coin de terre bretonne ? Depuis 1870, la Défaite, l'annexion de l'Alsace-Lorraine par le Allemands, les esprits sont à vif un peu partout en France. Cela se sent aussi chez nous. Je me souviens, a l'école du bourg, de nos livres d'Histoire, Ils se terminaient par plusieurs pages nous disant la Leçon à tirer de la défaite... Chaque alinéa commençait par les mots, en gros caractères « Nous avons été vaincus, parce que.. » J'entends encore en classe, l'émouvante lecture par M. Cudennec, de « La dernière Classe de Français » dans un village de l'Alsace maintenant germanisé… Ou encore la poésie alsacienne : « Dis-moi quel est ton pays, est-ce la France ou l'Allemagne ? C'est un pays de plaines et de montagnes, où pousse avec les épis, la haine de mes ennemis " … Aussi, enfants du bourg ou des environs, nous jouions de plus en plus à la " petite guerre ". Nous étions arrivés à constituer de petites armées de 30 ou 40 "soldats". Je revois les "grands" nous mesurant avec un " centimètres " de couturière, derrière l'église avant de nous engager, car il fallait 1m30... (Heureux, je mesurais 1m31). Nous partions faire la guerre dans les collines de Saint-Jean, en direction du Bazen et de Foulizidi. Mais il me semble entendre aussi les réflexions de plusieurs femmes devant notre ardeur guerrière : " Brézel a vo adarè " (il y aura encore des guerres)… C'est à cette époque aussi, en 1913, plus d'un an avant la grande hécatombe, que nous vîmes ériger, sur la place de l'église, le Monument aux Morts. Depuis, il a été recouvert des plaques de marbre donnant les noms de ceux qui ont péri au cours des deux guerres qui ont suivi, Alors on y lisait seulement les vers de Victor Hugo : "Ceux qui pieusement sont mort pour la Patrie Ont droit qu'à leur cercueil la foule vienne et prie." Et l'inscription en lettres d'or "Aux Enfants de Plougasnou morts pour la Patrie ou péris Mer" Car, en ces années d'avant-guerre, la Mer avait causé bien des deuils parmi la population des marins-pêcheurs de Primel. Et par ailleurs, enfants des écoles, nous venions de nous joindre à la foule suivant l'enterrement d'un marin, Bevout, victime de l'explosion, à Toulon, du cuirassé "Liberté" … Explosion que certain disaient l'oeuvre d'ennemis, d'espions … C 'est dans cette ambiance que nous vîmes, à Plougasnou, des unités de l'Armée participant aux " Manoeuvres de 1913" . Je revois, en images d’Épinal, cantonnant à Plougasnou, les soldats au pantalon rouge. Une section bivouaquait prés de chez moi dans la cour de la Forge, Il n'y avait pas que les enfants accourus voir les soldats préparant leur "rata". Bien des ménagères des environs regardaient avec curiosité comment ces hommes allaient faire leur cuisine, Et sous les coiffes blanches on voyait poindre des sourires ironiques ou des remarques moqueuses... Et le lendemain quelques-uns d'entre nous firent l'école buissonnière pour aller suivre les troupes vers les collines de St-Jean. Nous envions ceux qui l'avaient osé : vous pensez, ils avaient "vu" des mitrailleuses ! ..., A mes yeux, le clair et chaud soleil d'été éclairait les uniformes bleus et rouges de l'Infanterie française comme un vrai Soleil d'Austerlitz. Aussi, lorsqu'un beau jour d'août 1914, nous entendîmes sonner le Tocsin qui appelait nos Pères, nous, les enfants, nous étions certains de la Victoire, de la Revanche de 1870, Nous suivions d'un regard admiratif tel Zouave à la culotte rouge flottante comme Yffik Kervescontou, ou, plus encore, à la porte de la maison de la Forge, la haute stature de Jean Choquer, revêtu du casque et de la cuirasse du 12ème Cuirassiers de Rambouillet. Et nous songions aux Braves des charges de Reichoffen ou de Waterloo. Mon père, en retraite de la Marine, rappelé, partait aussi. Mais je l'avais vu si souvent partir, quand il était en activité. Ma grand'mère, Marie Véguen, était silencieuse. Mais elle me dit pourtant, quand j'étais seul avec elle, que la guerre était une chose triste, que beaucoup n'en revenaient pas, et que bien des survivants étaient invalides. Elle pensait sans doute à son père, revenu des guerres d'Espagne au temps de Napoléon, amputé d'une jambe à mi-cuisse. Pour la rassurer un peu, à ma façon, je lui traduisais quelques passages de notre journal, "La Dépêche de Brest", (Elle ne savait pas lire le français). C'est ainsi que je me plaisais a lui énumérer le grand nombre de nos Alliés : les Belges, les Russes, les Anglais… Quand je lui citais les Anglais, elle me répondit : " Sûrement que tout ce que tu dis est vrai, puisque c'est imprimé dans ton journal, mais là tu dois te tromper ". Car me dit- elle, « Ar Zôzon a zo treitour… " (Les Anglais sont des traitres). Echo des vieux âges, du temps des invasions saxonnes dans la Grande-Bretagne, qui était notre pays, il y a 1500 ans. Les mobilisés partirent dans les premiers jours. Nous vîmes se rassembler un grand nombre à la gare de Plougasnou, où ils prirent place dans le "petit train" sous la conduite de quelques Premiers-maîtres, rappelés et qui avaient revêtu leur uniforme. Mes souvenirs d'enfant en gardent une impression de calme et d'ordre, ponctué, bien sûr, de quelques inévitable, " A Berlin " ! Bientôt la garde du Sémaphore de Kerhouin fut confiée à une section de Territoriaux, en grande partie Plouganistes, sous les ordres d'un Adjudant du pays. Je rencontrai le Détachement à la sortie du bourg, près de Poulavelli marchand au pas, en ordre, le fusil sur l'épaule, tous revêtus de l'uniforme bleu au pantalon rouge. Je revois le visage de plusieurs d'entre eux, comme le sabotier Féat (Yves ar Wallas) et le forgeron Olier ar Bihan. Celui-ci, ayant pris un peu trop d'embonpoint, avait dû boucler avec une ficelle une capote trop étroite… Mais partout il y avait de l'ordre, de l'ardeur, de l'union, malgré des divergences politiques auxquelles personne ne pensait plus, Rien ne le dit mieux que l'épithète d'" embusqué ", infligée à ceux qui se soustrayaient à leur devoir. C'était un mot infâmant, une insulte. On était loin de dire que c'étaient des " débrouillards ", Autres temps … L'arrêt de la ruée allemande sur la France fut bientôt ressenti à Plougasnou : il devint très visible à nos yeux par l'arrivée de soldats allemands prisonniers. Ils furent installés à Trégastel, dans un camp derrière la gare et Keréven, au pied de la " maison Bodros ". Il n 'y avait là que de la garenne et des champs, ainsi qu'un lavoir-fontaine qui fournissait la meilleure eau du coin après celle de Kerlongavel (et celle de Traonispi à Plougasnou). Camp classique : barbelés et baraques Adrian. Ces Allemands étaient, bien sûr, solidement encadrés, mais ils ne cherchaient pas à s'évader ; il leur eut fallu traverser toute la France pour gagner la Suisse et arriver chez eux. Et faire tout cela en uniforme, sans guère parler le français. Non, c'était sûrement bien loin de leur pensée. Ils travaillaient à creuser une poudrière dans l'un des grands rochers de Primel. Quelques-uns en venaient, en corvée d'eau à la pompe de l'hôtel Poupon, sous la garde d'un soldat français, et la population les regardait un peu " comme des bêles curieuses". D'ailleurs, le dimanche, quand il faisait beau, " Le Camp " était un lieu de promenade : les gens venaient autour des barbelés pour voir les prisonniers " comme on va au Zoo ", me disait récemment quelqu'un de Trégastel. J'en vis quelques-uns, devant chez moi. En effet, de temps en temps, tantôt un, tantôt deux montaient au Bourg en poussant une brouette, escortés d'un soldat français, baïonnette au canon. Ils s'arrêtaient devant " chez Finch ", l'épicerie Choquer, et y chargeaient des denrées pour le camp. Peu à peu, moi qui habitais en face, je vis que la surveillance se relâchait. Parfois je voyais l'Allemand resté seul près de sa brouette son gardien français avait dû aller quelque part arroser la future Victoire, tandis que le prisonnier attendait sagement son retour… Au bout de quelque temps, les Allemands vont être transférés ailleurs. Ils sont alors remplacés par des prisonniers d'une autre espèce. C'étaient des Français dont on disait qu'ils avaient refusé d'obéir au Front et qu'ils avaient un passé très lourd, On les appelait d'ailleurs "les pègres". Ils avaient à la fois une réputation de gens dangereux et de mauvais soldats. Ils étaient très sévèrement gardés derrière les barbelés par des soldats armés et par des gradés ayant constamment le revolver au côté, le tout commandé par un capitaine, Les soldats-gardiens prenaient leurs repas au " Café de la Gare ", les gradés à l'hôtel Poupon. A l'encontre des Allemands, les " pègres " aspiraient à s'évader, mais, ils n'y réussissaient guère, et pas pour longtemps, parce que la surveillance était très dure et la population très peu portée à les aider. Je demandais un jour à une dame de Trégastel si elle les redoutait. Sa réponse fut un cri du coeur: « Ah ! oui, plus que les Boches » , Après la guerre, prisonniers et détenus ayant disparu, "le Camp" fonctionna encore quelque temps comme une carrière, avec une main-d'œuvre civile, sous le contrôle des Ponts et Chaussées. Mais on était loin de la main-d'œuvre gratuite et des cadres à bon marché que la guerre avait fournis. L'affaire, n'étant plus rentable, fut abandonnée. La guerre avait amené à Plougasnou des Réfugiés du Nord et de la Belgique. Sa prolongation amena bientôt des soldats français blessés. Ceux-ci achevaient les convalescence au " Patronage " de Kerjob, au bourg, transformé en " Hôpital Bénévole ". Les réfugiés avaient été accueillis avec sympathie : certains reviendront plus tard au pays et l'un d'eux au moins s'y maniera. Il y eût une exception bien malheureuse. C'était la famille d'un petit tailleur alsacien, Kapps, qui était logé là où est aujourd'hui la boulangerie Jégouïc. Il y avait deux filles, Alice et Adèle, qui furent bien accueillies à l'école des filles du bourg (bâtiment de la mairie aujourd'hui). Mais, si le père Kapps parlait difficilement le français, sa femme ne parlait que le dialecte alsacien. Bientôt avec l' " espionnite " qui commençait à sévir un peu partout, les gens les soupçonnèrent d'être " des Boches ". Et, un beau jour, ils furent amenés à quitter le pays, pour aller ailleurs, où il y avait des Alsaciens ; Je vis leur départ. Parmi les bagages rangés devant la maison, je vis que, dans l'une des caisses qu'il clouait, le père Kapps avait plié un petit drapeau bleu-blanc-rouge. J'eu le cœur serré en songeant à l'injustice dont il devait souffrir. La guerre se prolongeant, nous connûmes le rationnement, même celui du pain, que l'on ne pouvait plus avoir sans tickets. Sauf évidemment les cultivateurs qui, une fois qu'ils avaient livré les quantités requises de blé, conservaient ce qui leur était nécessaire. Ils faisaient cuire le pain dans une des boulangeries du pays. Cela amena parfois des difficultés, mais rarement, et uniquement du fait d'étrangers. Ceux-ci étaient peu nombreux et n'y restaient pas longtemps, ayant sans doute les moyens de se déplacer et n'étant pas mobilisables. Je me souviens de l'une de ces scènes, devant la boulangerie Léon, qui était là où il y a aujourd'hui une épicerie coopérative. L'homme, que nous enfants nous appelions (je ne sais pourquoi) le " Roumain ", passait devant la boulangerie fermée, mais à la fenêtre de laquelle on voyait derrière les vitres quelques miches de pains de cinq livres que des paysans avaient fait cuire. Il frappa en vain à la porte, et la voisine, Mme Delépine, sortit lui criant de sa voix nasillarde : "Vous n'avez qu'à aller à la Guerre !" Mais Mme Léon elle-même, qui ne manquait ni de tête ni de courage, ouvrit sa porte pour dire énergiquement qu'elle n'avait plus de pain disponible. Je revois le gros et gras bonhomme, la figure irritée sous son énorme chapeau à larges bords, commencer à répondre comme un furieux à Mme Léon, Il n'en eût pas le temps. Les quelques passagers du " petit train " arrivaient de la gare voisine. Et, parmi eux, Louis Léon qui arrivait du Front, ayant au bras, comme un trophée, un casque de soldat allemand, Il vit aussitôt cet étranger qui semblait menacer sa mère, Il bondit sur le gros bonhomme, le secoua comme un prunier et lui fit prendre rapidement la fuite à grands coups de pieds dans le derrière… Il y avait donc, en dehors des " réfugiés " proprement dits, parfois quelques étrangers au pays, mais pour un temps assez court, semble-t-il. D'ailleurs, nous avions tendance à nous demander si, parmi eux, il n'y avait pas des " espions ", Je me souviens de l'un d'eux, un monsieur assez âgé, avec un chapeau à plume, que nous voyions presque chaque soir aller s'asseoir du côté de Rumoreau, sur un petit talus d'où il voyait – et admirait sans doute - certains coins de mer, Et nous, les enfants, nous songions que, peut-être, il faisait des signaux aux sous-marins allemands ! Aussi, un soir, nous disposâmes non loin de son siège habituel une longue traînée de poudre (vous verrez plus loin comment nous nous en procurions). Un soir où il était assis à l'endroit habituel, nous allumâmes une allumette à l'autre bout ; bientôt ce fut une flambée rapide, sans danger certes, mais qui surprit terriblement l' " espion "… On voit jusqu'où pouvait mener l' espionnite… Je viens de parler des sous-marins allemands. Incapable d'enlever à l'Angleterre et à la France la maitrise de la mer, l'Allemagne s'était lancée dans une campagne de guerre sous-marine à outrance. Nous en vîmes les effets au pied de nos falaises et sur nos côtes. De tout temps, les Bretons du bord de la mer ont aimé parcourir les grèves à la recherche d'épaves possibles " punsaou ". Au point que notre langue a un verbe pour cette recherche " punsaoua ". Mais jamais sans doute il n 'y eût autant d'épaves sur la côte de Plougasnou que pendant cette deuxième partie de la guerre, de 1916 à 1918. Beaucoup se souviennent encore de tout ce que l'on pouvait trouver : barils, madriers, caisses d'oranges, sacs de farine dont le milieu était intact, et, à certaines époques, une quantité de caisses de poudre !... Parfois c'était une chaloupe ou autre embarcation de sauvetage vide d'occupants et à demi démolie. Quelquefois - plus triste encore, un marin inconnu, noyé… Combien de caisses de poudre avons-nous guettées et attrapées, nous, enfants, dans les grèves du Carpont, Rufellic et Rumoreau ! La poudre était intacte dans l'emballage métallique contenu dans une solide caisse de bois. Poudre noire en petits bâtonnets très minces, ou poudre jaune en petits cylindres plus gros, ô comme elle brûlait bien !... Bien sûr l'autorité maritime - le Syndic des gens de mer - s'en mêla. Une prime fut allouée à chaque riverain par caisse apportée. Du coup, nous fûmes frustrés par les grandes personnes de la plupart de nos "punsaou". En revanche, il nous arriva d'ouvrir une caisse, de la remettre à l'eau, en y ayant mis le feu à retardement. Quelle jolie flamme cela faisait sur la mer !... Ainsi, nous voyions de façon précise quels ravages les sous-marins allemands pouvaient faire sur les flottes marchandes alliées. A la fin, ils s'attaquèrent aussi aux bateaux de pêche, cherchant en particulier à effrayer et à disperser les flottilles de thoniers utiles au ravitaillement du pays, utilisant parfois même le canon. C'est ainsi que je me souviens d'avoir vu à Primel un bateau que nous appelions " Bag Enez Siek " (le bateau de l'île de Siek), dont la grand' voile portait le rapiéçage de couleur là où, disait-on, elle avait reçu des projectiles. Je ne puis résister à l'envie de raconter à cette occasion la belle histoire d'un sous-marin et d'un bateau de Primel. C'était vers 1917, Pippi en Abadez venait d'être démobilisé, vu son âge et son nombre d'enfants, Il avait quitté le régiment du Génie où le sort l'avait appelé, et il avait repris son métier de patron-pêcheur à Primel. En dehors du vieux Guillou Nonnik, il n'avait naturellement comme équipage que des jeunes non mobilisables. C'était l'époque où la guerre sous-marine battait son plein et où couraient les bruits les plus alarmants. On disait aussi que là où il y avait un sous-marin en plongée apparaissaient parfois à la surface de grandes tâches d'huile. Pippi à la barre et son matelot près de lui y pensaient en cette fin de nuit d'été sur une mer calme, en se rendant sur les lieux de pêche, là-bas, vers les Sept-Iles, pendant que leur jeune équipage dormait à poings fermés. Soudain leurs regards sont frappés par une tâche d'huile sur la mer. Serait-ce un sous-marin ? Effectivement, dans le petit jour naissant, ils voient bientôt, assez loin sur leur arrière, surgir de la mer comme un diable, un sous-marin … Saisis, ils le regardent émerger puis avancer lentement vers eux. Leur premier réflexe est que, tout de même, tout ne soit pas perdu : le litre de vin qu'ils avaient en réserve est là auprès d'eux : ils en boivent la moitié chacun, avant le moment fatal… Mais, le sous- marin s'approche, passe près d'eux, puis s'éloigne. Autre réflexe " Ne parlons de ceci à personne, sans quoi nous aurons du mal à conserver notre équipage ou à en recruter d' autre "... Pippi et Guillou tinrent leur langue et ne dirent rien à personne. Mais, quelques semaines plus tard, le Syndic des gens de la Mer, voyant Pippi , l'interpela " Au cours de ta tournée de pêche au nord des Sept-Iles, il y a un mois, tu n'as pas rencontré de bateaux ?", " Non ! ", " Tu n 'as pas vu un sous-marin ? ". Interloqué, Pippi répondit : " Si, mais je n'en ai parlé à personne pour ne pas jeter le trouble dans l'esprit des jeunes qui s'embarquent, Comment savez-vous ça ? " "Oh ! Pippi, c'est bien simple, c'était un sous-marin français ; il avait lu le nom de ton bateau et il le mentionne dans son rapport de mer…" Les rencontres avec des sous-marins avaient en général un caractère plus tragique car, sur mer, la perte d'un de nos navires laissait bien souvent peu de survivants. Je me souviens de voir chez nous, anxieuse, la fille du couvreur Goffic, dont le mari était Second-Maître à bord de l' "Amiral Charner" qui fut torpillé en Méditerranée et coula très vite, engloutissant une foule de marins. Plusieurs jours après, elle apprit que l'on avait retrouvé un rescapé, seul survivant, sur un radeau. Lueur d'espérance, hélas bien vite déçue : ce n'était pas le sien ... La guerre dans les airs, encore à ses débuts, était infiniment loin de ce qu'elle est devenue aujourd'hui. Il semblerait donc qu'elle aurait dû passer totalement inaperçue dans notre coin de pays breton si éloigné du Front. Certes, nous n'aperçûmes que de loin, comme un point dans le ciel, un avion qui passa au-dessus de Plougasnou. Mais nous vîmes de plus près un dirigeable britannique. Un matin de l'été de 1918, debout avant le jour, Manuel Toquer (Manuel ar Graz Koz) s'apprêtait à se rendre au champ, lorsqu'il vit arriver vers lui un homme bizarrement vêtu, qui se mit à lui parler un langage inconnu. L'homme faisait en outre de grands gestes, montrant tantôt le ciel, tantôt la terre. Manuel se dit qu'il avait affaire à un fou et lui fit signe de l'accompagner en direction du bourg. Là, il trouva quelqu'un qui baragouinait un peu d'anglais. L'homme appartenait à un dirigeable britannique en difficulté sur la manche et qui avait fini par venir s'abattre du côté de Kerlaz, près du petit chemin menant à Kerprigent et à Kermabon. Près de la nacelle attendaient les deux autres membres de l'équipage, qui avaient rangé soigneusement, au bord d'un champ l'enveloppe dégonflée. Bien des gens s'occupèrent avec sympathie de ces trois Anglais qui matérialisaient pour nous notre Alliée. Je me souviens que l'un des nombreux visiteurs voulut prendre une photo du dirigeable abattu. Mais le Maire de Saint-Jean, commune sur laquelle s'était abattu le dirigeable s'y opposa. " Sinon, dit-il, je confisque l'appareil ". Stricte application du "Méfiez-vous des espions"… La guerre sur les champs terrestres grossissait continuellement le nombre des " Morts au Champ d'Honneur ". Lorsqu'après la Victoire on découvrit le Monument aux Morts de plaques de marbre portant leurs noms, près de cent cinquante soldats et marins avaient péri (sur une population masculine de moins de deux mille, enfants et vieillards compris). Comme dans tous les villages de France, à Plougasnou, le 11 novembre 1918 fut à la fois une joie et un soulagement. Je n'étais pas au pays ce jour-là, mais peu après, j'ai entendu dire bien des fois l'enthousiasme des Plouganistes. Surtout quand ils virent grimper, par le paratonnerre, jusqu'au sommet du clocher, Jean-François Talbot, suivi de Louis Léon, pour y amarrer un drapeau tricolore disant la fierté de la Victoire et la joie de la Paix. On put voir aussi, pendant longtemps. deux canons allemands placés près du Monument aux Morts, en hommage à Ceux dont le sacrifice nous avait assuré l'existence et la liberté. N.B. : Les mots en caractères gras figurent tels quels dans l'article paru dans " Le Carillon du Trégor " |
Inauguration du monument aux morts, le 7 septembre 1913.
Le sémaphore de Kerhouin.
L'Eclaireur du Finistère du samedi 1er septembre 1917 A la gare On sait que les 150 prisonniers allemands occupés à Primel ont été renvoyés à leur dépôt, et remplacés par des soldats exclus de l’armée (condamnés aux travaux publics), reconnaissables à leur vareuse grise à col jaune. 11 de ces soldats s’étaient évadés en cours de route. Ils ont été repris aux environs de Creil et du Mans, et conduits hier à Morlaix où ils ont été hospitalisés à la gare sous la surveillance des gendarmes. Ils ont été dirigés aujourd’hui sur Primel, par le train armoricain." Laurent Goulhen, Petits Trains du Trégor - Ligne Morlaix-Primel-Plestin, Ed. Skol Vreizh, 2003. Les soldats blessés à Ker Job.
(fonds J. Quinquis) M. NICOLAS, Paroisse de Plougasnou-Morts pour la France-1914-1918, peinture sur bois, 98 × 160 cm. Saint-Pol de Léon.
|