Des corsaires au secours de la Royale
Anonyme, Vue cavalière du port de Brest, , fin XVIIe-début du XVIIIe s., gravure.
Par deux fois, Louis XIV confie à la marine un rôle majeur dans sa grande stratégie : lors de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, pour acquérir la supériorité navale en Manche, préalable nécessaire au débarquement prévu pour restaurer Jacques II sur le trône des Stuarts ; pendant la guerre de Succession d’Espagne, pour assurer la protection du trafic maritime et des colonies américaines de l’Espagne de Philippe V, son petit-fils. Par deux fois, malheureusement, l’évolution de la situation géopolitique et les conditions économiques catastrophiques le contraignent à renoncer à ses ambitions maritimes : l’inutile armada est conservée au mouillage à Toulon, je reviendrai sur ce point. En revanche, pour tirer le meilleur profit des vaisseaux disponibles, il va renouer avec un mode d’action né pendant la guerre de Hollande : « l’armement mixte ». Un « armement mixte » est un armement caractérisé par les éléments suivants :
Mon intérêt pour les « armements mixtes » trouve sa source dans des manuscrits qui m’ont été confiés par un vieil ami, feu Georges Ousset, libraire toulousain à l’enseigne de « La Bible d’Or » : il s’agit de la comptabilité de l’expédition au cours de laquelle le baron de Pointis a mis à sac la ville de Carthagène des Indes. Soucieux d’éclairer cet événement, j’ai lu le courrier échangé entre la Cour et les intendants départis dans les ports du Ponant pendant les années 1696 et 1697. Étonné par ce que je découvrais, j’ai élargi mes recherches à l’ensemble de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, puis je suis remonté au premier règlement concernant cette pratique ; par curiosité, je me suis ensuite intéressé à la guerre de Succession d’France, élargissant mes sources aux jugements des prises prononcés par l’amiral de France et aux états d’armement de la Marine, ensembles de manuscrits conservés aux Archives nationales. Étalée sur près de dix ans, cette étude a permis de mettre en évidence les éléments principaux suivants :
Pour exposer la place occupée par les armements mixtes au « sens strict » dans l’activité du port et de l’arsenal de Brest, je vais utiliser comme fil conducteur l’évolution des règlements successifs qui les ont régis. Mon objectif est de vous montrer que, tant par le tonnage offensif mis à la mer que par la valeur des prises réalisées, les armements mixtes ont fait de Brest pendant un quart de siècle le premier port corsaire de France. Pendant la guerre de Hollande, en réponse aux sollicitations de Dunkerquois qui cherchent à renforcer leurs armements en course, le roi accepte de leur prêter des bâtiments jusqu’à 36 canons (5e rang). En application directe des traditions corsaires, le provenu net est partagé en trois parts égales : 1/3 au roi pour son navire, 1/3 à l’armateur pour couvrir ses frais et 1/3 à l’équipage. C’est le règlement du 5 octobre 1674. On ne trouve aucun armement de ce type à Brest à cette époque. Le provenu net, terme que nous retrouverons régulièrement, correspond au montant de la vente des prises une fois retranchés les frais « incompressibles », c’est-à-dire, le dixième de l’amiral de France, les dépenses de déchargement, de conservation et de vente, les frais de justice, les droits d’entrée éventuels, le prélèvement de trois deniers pour livre destinés, pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg à la rédemption des captifs, lors de la guerre de Succession d’Espagne aux demi-soldes des estropiés et aux récompenses des veuves. À la veille de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, sous l’influence du secrétaire d’État de la marine, Seignelay fils de Colbert, le roi prend des mesures destinées à stimuler les armateurs : 1) il étend le prêt aux vaisseaux de 40 canons (4e rang) ; 2) et abandonne sa part à l’armateur qui reçoit donc les 2/3 du provenu net. C’est l’ordonnance du 24 octobre 1688 dont la teneur est reprise le 8 novembre de la même année. C’est probablement toujours sous l’influence de Seignelay, que, pour se montrer encore plus généreux, le roi prend à sa charge la préparation des vaisseaux prêtés et une partie des soldes ; c’est l’ordonnance du 20 novembre 1688. Avant même la déclaration de guerre, Seignelay organise à son profit le premier armement mixte de Brest dans lequel il est de moitié avec Relingue à qui il donne le commandement du Comte — 44 canons —, du Palmier et de la Mutine. Pour permettre au roi d’Angleterre déchu d’arrondir son douaire, Louis XIV autorise Jacques II à délivrer des commissions en course à des officiers anglais ou irlandais et à recevoir le 1/10 de l’amiral sur leurs prises. Le 15 avril 1689, est promulguée l’ordonnance pour les armées navales et arsenaux de marine, « la grande ordonnance », en gestation depuis plus de dix ans (Colbert est mort en 1683). Pour ce qui concerne les armements mixtes, elle est calquée sur les termes du règlement de 1674 : les deux généreuses ordonnances de 1688 sont oubliées et les armateurs remis à la portion congrue. Seignelay n’en continue pas moins à armer mais il peine à rentrer dans ses fonds : 1) il donne à Dandenne l’Hercule renforcé du Fanfaron et de la Bien-aimée, remplacés ensuite l’Avenant et la Bouffonne, puis par la Gaillarde ; 2) de moitié avec Tourville, il arme l’Extravagant et l’Insensé ; 3) il arme également la Favorite pour la traite négrière. Plusieurs autres petits bâtiments ont également armés en course à Brest (Bienvenu, Fanfaron de nouveau, Écureuil, Marseillaise, Pressante et Vipère ; la Loire va renforcer l’armement que Ducasse prépare pour le Surinam). À la mort de Seignelay, le 3 novembre 1690, le contrôleur général des finances, Louis de Pontchartrain, reçoit le secrétariat d’État de la marine. Il ne connaît pas bien ce département, mais il apprend vite : ce ne peut être que sur sa suggestion que, pour stimuler la course, le roi accepte d’accorder la totalité du provenu net à l’armateur et de prêter des vaisseaux jusqu’à 44 canons ; dans la suite de mon exposé, je ferai mention de ceux qui sont d’une force supérieure. Mal enregistrée par le contrôle du port du Brest, l’ordonnance du 5 décembre 1691 n’y est pas appliquée et aucun armement mixte n’est réalisé. Le 3 septembre 1692, le roi décide d’attribuer 10% du provenu net aux équipages de tous ses vaisseaux ; cela constitue un petit mieux pour les hommes des bâtiments prêtés, qui ont été entièrement dépouillés par le règlement précédent. Simultanément, une dizaine de brûlots sont offerts au prêt ; c’est à cette occasion que l’erreur commise par le contrôleur de Brest est découverte, conduisant à une réorganisation administrative de l’intendance. Avant de poursuivre, je voudrais faire une courte digression. Il est courant d’entendre dire que c’est le désastre de La Hougue qui a motivé le changement de politique navale de Louis XIV et le passage de la guerre d’escadres à la guerre de course ; certains veulent même en voir la preuve dans ce renouveau des armements mixtes. Rien n’est moins vrai. Au prix d’immenses sacrifices, les 13 vaisseaux des 1er et 2e rangs perdus lors du « contretemps » de La Hougue sont remplacées par des constructions neuves : 6 vaisseaux du 1er rang et 4 du 2e pendant le second semestre 1692 ; 5 vaisseaux du 1er rang et 2 du 2e l’année suivante. Lors de la campagne de 1693, Tourville dispose d’un outil de combat inégalé — 71 vaisseaux à Lagos et 94 devant Malaga —, mais Louis XIV a changé ses priorités : il renonce, provisoirement, à débarquer Jacques II en Angleterre et oriente l’armée navale contre l’Espagne, maillon faible de la Grande Alliance. C’est alors qu’une crise économique sans précédent frappe le royaume pendant l’hiver 1693-1694 : ne pouvant entretenir à la fois une armée et une marine, le roi condamne la seconde dont il n’a plus besoin. Revenons aux armements mixtes. Sont prêtés en automne 1692, le Profond, l’Éveillé et la Favorite. Jacques II poursuit ses armements, avec le Marin et la Trompeuse ainsi qu’avec des corsaires malouins. En 1693, Renau d’Élissagaray arme le Bon 3/56c dont il vient de diriger la construction ; le comte d’Estrées arme l’Écureuil puis la Farouche. Sortant de l’ombre avec l’appui de banquiers parisiens et d’un courtisan flamboyant, le marquis de Cavoye grand maréchal des logis, les Trouin arment successivement, en 1693 le Profond puis l’Hercule, en 1694 la Diligente sur laquelle Duguay-Trouin est capturé. Après son évasion de Plymouth, il arme le François (3/48c) de compagnie avec Beaubriant L’Évêque sur le Fortuné (3/56c). Décidé à tirer le meilleur profit des vaisseaux disponibles, le roi choisit les fournir prêts à appareiller et de prélever le 1/5 du provenu net — d’où l’appellation courante d’« armements au cinquième » — ; les 10% de l’équipage sont déduit des 4/5 de l’armateur. Cette ordonnance, datée du 6 octobre 1694, restera en vigueur jusqu’en 1709. 1695, les demandes de prêt explosent, dévoilant trois grands armateurs : Nesmond, Saupin et Dandenne associés et les frères Trouin. André, marquis de Nesmond, lieutenant général des armées navales, sollicite la construction à Brest de trois vaisseaux : il avance le coût de la main d’œuvre dont il se remboursera sur le 1/5 du roi. Bien que les ordonnance limitent toujours le prêt aux vaisseaux de 44 canons, le roi accepte la construction du Fougueux (3/54c) et du Téméraire (3/50c) canons ; il lui accorde en outre le prêt de vaisseaux du 1er rang, le Lys (88c) et le Magnanime (72c). Saupin, marchand de bois brestois, — dont le nom a été donné à une portion de la Penfeld — obtient à son tour la construction à Brest, en 1696 du Solide (3/50c) et de l’Oiseau ; en 1697 du Mercure (3/52c) canons et du Triton. Il reçoit en outre le prêt de la Gaillarde, du Violent et de la Galatée ; ces bâtiments opèrent en groupe constitué sous le commandement à Dandenne avec lequel il est associé. Duguay-Trouin poursuit ses opérations avec des bâtiments armés par son frère Luc Trouin de La Barbinais : en 1695, sur le François, en compagnie du Fortuné de Beaubriant ; en 1696, sur le Sans-pareil ex-Nonsuch qu’il vient de capturer et la Léonore, autre prise anglaise ; en 1697, il se renforce du Saint-Jacques-des-victoires (48c) pris par Nesmond. Deux East Indiamen sont capturés par Nesmond, trois autres par Duguay-Trouin et Beaubriant : ces bâtiments sont les prises plus considérables jamais faites pendant toute la guerre. Voyant les bénéfices considérables que l’on peut en tirer — dans la mesure où les marchandises sont facilement revendables —, Samuel Bernard, « le roi des banquiers et le banquier des rois », acquiert par traité les droits et privilèges de la compagnie des Indes. Adjugées pour 3, 15 millions de livres, les prises de Nesmond donnent un bénéfice net de plus de 776 000 livres pour la compagnie, le double pour le financier ; ils font au roi un « cadeau » de 400 000 livres. Adjugées pour 2, 5 millions de livres, les prises de Duguay-Trouin donnent un bénéfice net de plus de 780 000 livres pour la compagnie, le double pour Samuel Bernard ; le roi reçoit un cadeau de 300 000 livres. La manière d’employer les vaisseaux de ces trois armateurs constitue une réelle nouveauté en matière de course : parfois réunis par la volonté du roi, toujours solidement manœuvrés par les décisions du ministre, ils constituent une armée navale en miniature. Le souverain prend parfois à sa charge les vivres ou une partie des soldes ; il facilite les levées ; il se montrer généreux avec les vainqueurs et, à l’occasion, sait limiter son profit. En contrepartie, il se sent libre de l’employer à sa guise, modifiant les missions, transférant un commandant d’un bâtiment sur un autre, un bâtiment d’un armateur à un autre, regroupant les escadres, les renforçant à son gré ou reprenant des unités pour son service : il agit en commandant opérationnel au sens actuel du terme. Cette force à dimension variable tient la mer de façon continue de juillet 1695 à juillet 1697 ; quand il est embarqué, Nesmond est de facto investi du commandement tactique. L’intendant de Brest, qui a le pas sur les autres ordonnateurs du Ponant, est chargé de soutenir les bâtiments du roi opérant du pas de Calais à Gibraltar, y compris ceux qui sont prêtés à des particuliers : il les alimente en renseignement sur l’ennemi, leur fournit vivres et rechanges, les répare et remplace les malades ou les morts. Aujourd’hui nous dirions qu’il est à la fois commandant organique et contrôleur opérationnel. Les armements mixtes atteignent leur apogée avec la prise de Carthagène en 1697. Pointis a reçu un vaisseau 1er rang le Sceptre (88c), deux du 2e rang le Fort (70c) et le Saint-Louis (66c), quatre du 3e rang l’Apollon (60c), le Furieux (62c), le Saint-Michel (60c), le Vermandois (62c), ainsi que l’Avenant, la Dieppoise, l’Éclatante, Maison-de-Ville-d’Amsterdam, le Marin, la Mutine, la Providence et quatre traversiers d’Aunis ; il est renforcé sur place par ce qui reste de l’escadre de Des Augiers et par des frégates flibustières ou malouines. Le butin « avouable » est d’environ 10 millions de livres, soit l’équivalent de dix ans de travaux pour Versailles et Marly ; les flibustiers se sont servis au-delà de 2 millions et les destructions dépassent les 20 millions. Ayant reçu la survivance du secrétariat d’État de la marine en 1693, Jérôme de Pontchartrain est aux affaires depuis six ans quand son père est nommé chancelier de France. Au début de la guerre de Succession d’Espagne, sa situation est assez voisine de celle de Seignelay lors du conflit précédent : certes, il n’a pas participé à l’élaboration des textes fondateurs de la marine et son apprentissage a été plus court mais il l’a fait en temps de guerre et les armements mixtes n’ont pas de secrets pour lui. Immédiatement, le roi fait savoir qu’il est disposé à prêter des bâtiments pour des opérations d’envergure. Aucun nouveau règlement n’est promulgué : les traités sont fondés sur les termes de l’ordonnance du 6 octobre 1694 — prélèvement du cinquième du provenu au profit du roi — et, bien que l’ordonnance du 5 décembre 1691 ne soit pas abrogée, il ouvre immédiatement l’éventail des prêts aux vaisseaux de plus de 60 canons. Forts de l’expérience acquise lors du conflit précédent à Brest et au Port-Louis, certains armateurs cherchent à opérer en groupe et sollicitent le prêt de bâtiments plus puissants pour des durées bien plus longues. En 1702, Beaubriant reçoit le Juste (2/64c) et l’Alcyon ce dernier étant remplacé l’année suivante par le Hasardeux (3/50c). La Bellone et la Railleuse sont prêtés à Duguay-Trouin avec mission d’aller au Spitzberg détruire les baleiniers hollandais. En 1703, Duguay-Trouin repart au Spitzberg avec de plus gros moyens : l’Éclatant (2/70c), le Furieux (3/62c) et une flûte. Cette opération connaît un réel succès. En 1704, malgré la charge énorme que constitue la préparation des vaisseaux du comte de Toulouse, il obtient la construction à Brest de l’Auguste (3/50c) et du Jason (3/54c), ainsi que de la Valeur et de la Mouche. Le départ de l’amiral de France vide l’arsenal et le laisse libre pour les seuls armements mixte, situation qui durera jusqu’à la fin du conflit puisque après Velez-Malaga l’armée navale ne quittera plus la Méditerranée. En 1705, d’Éprémesnil obtient la construction de la Thétis qu’il arme en course. Duguay-Trouin arme l’Auguste et le Jason renforcés d’une de ses prises, l’Amazone ex-Walger. Le Moyne d’Iberville arme pour les Antilles, à Brest et à Rochefort : 3 vaisseaux du 2e rang de 64/66 canons, le Brillant, le Glorieux et le Juste ; 4 vaisseaux du 3e rang de 58/62 canons, l’Apollon, le Fidèle, le Phénix et le Prince, ainsi que le Milford, la Nymphe et la Sphère ; il pille l’île de Niévès en 1706. Des Augiers reçoit l’Élisabeth (2/72c), le Maure (3/54c) et le Griffon armés à Brest et au Port-Louis, pour opérer sur la côte nord de l’Amérique du Sud et en mer des Antilles ; il rentre l’année suivante. En 1706, Duguay-Trouin est envoyé participer à la défense de Cadix avec le Jason, l’Hercule (3/56c) construit Port-Louis sur l’initiative de de Ruis et une prise, le Paon. Il obtient la construction, à Brest du Lys (2/72c), de l’Amazone et de l’Astrée ; au Port-Louis de la Gloire. Gouyon de Miniac est en course sur la Dauphine (3/60c) dont il a obtenu la construction au Havre. En 1707, Duguay-Trouin opère avec le Lys, le Jason, l’Achille (3/64c), l’Amazone, l’Astrée et la Gloire, renforcés du Maure maintenant armé par le malouin Beauvais le Fer. Pendant ce temps, assiégés à Toulon par terre et par mer, les vaisseaux de l’armée navale risquent l’incendie consécutif aux bombardements ou la capture si la ville venait à être prise. Pour les mettre à l’abri de cette double menace, Louis XIV, ses conseillers et les responsables de la marine, dont Langeron commandant la marine à Toulon et ancien inspecteur des constructions navales, choissent la submersion des coques : l’artillerie et les mâts ayant été débarqués, les vaisseaux sont ceinturés de câbles, pour limiter les déformations et pour aider à leur relèvement ultérieur ; le sabordage proprement dit est réalisé, de manière quasi chirurgicale, par l’exécution d’ouvertures dans les cales. Malgré les précautions prises, les dégâts sont considérables ; les câbles n’ont pu empêcher les déformations des bois dues à la dilatation pendant de longs mois sous l’eau et les efforts subis lors des manœuvres de renflouage font souffrir les coques au-delà de ce pour quoi elles ont été conçues : six vaisseaux sont immédiatement condamnés, une grande partie des autres ne servira plus jamais. Dans ce contexte de renoncement, la mutation de l’emploi des moyens s’accélère : les vaisseaux prêtés aux particuliers pour armer en course sont de plus en plus nombreux, de plus en plus puissants et de plus en plus récents. La préparation des armements mixtes sous toutes leurs formes est devenue la seule activité des arsenaux du Ponant. En 1708, Duguay-Trouin poursuit ses opérations avec l’Achille, l’Amazone, l’Astrée, la Catherine, la Gloire, le Jason, le Lys et le Saint-Michel (2/70c), renforcés de la Dauphine. Dubois de La Motte, qui a obtenu la construction de l’Argonaute est en course, seul ou en soutien de Duguay-Trouin, pendant les trois ans de son prêt. Cassard arme le Jersey. En 1709, Duguay-Trouin opère avec l’Amazone, l’Astrée et la Gloire, renforcées de l’Achille armé par de Beauve ; la Gloire ayant été capturée il abandonne l’Astrée qu’il juge trop faible, et appareille avec l’Amazone, le Jason et Lys, renforcés de l’Achille et de la Dauphine, armée par Catteville. Desgrieux arme la Volage. Aggravé par la catastrophe économique de l’hiver 1708-1709, l’état des finances du royaume ne permet pas de remplacer les pertes du sabordage, ce qui conduit à la condamnation de l’armée navale puis à l’effondrement général de la marine. Dans un dernier sursaut pour stimuler les demandes de prêt, le roi abandonne sa part par l’ordonnance du 1er juillet 1709 : de nouveau, le provenu net est partagé entre l’armateur (90%) et l’équipage (10%) ; en contre-partie, les arsenaux ne fourniront rien et les vaisseaux sont prêtés en l’état. Une mesure semblable avait été prise deux mois plus tôt en faveur des bâtiments prêtés pour le transport des grains. Contrairement à son attente, cette mesure est sans effet, les armateurs se disant incapables de financer la mise hors. Désireux cependant de voir exécuter l’opération prévue en 1711 contre Rio de Janeiro, le roi accorde à Duguay-Trouin l’application du règlement de 1694 : pour masquer l’étendue de la mission, les unités sont préparées simultanément à Brest, à Dunkerque et à La Rochelle ; certaines le sont sous couvert d’un renfort accordé à Philippe V. l’Achille, l’Aigle, l’Amazone, l’Argonaute, l’Astrée, la Bellone, le Brillant, le Fidèle, le Glorieux, le Lys, le Magnanime, le Mars et deux traversiers, renforcés de trois navires malouins. Les survivants seront de retour à Brest au printemps 1712. Les autres vaisseaux prêtés sont armés en guerre et marchandise : le en 1709, le Maure par Du Coudray Guymont ; en 1711, le Paon par Du Tourbien Monot et le Milford par Tayrand, deux Brestois ; en 1712, le Griffon, par le banquier Crozat dans le cadre de la subrogation de la compagnie des Indes orientales Une des caractéristiques de ce second conflit est le soutien que des vaisseaux prêtés dans d’autres ports viennent chercher à Brest. Ce soutien est de trois ordres. La remise à niveau après combat de vaisseaux armés à Dunkerque avant leur retour en mer du Nord : en 1704, les Jeux et l’escadre de Saint-Pol Hécourt — Amphitrite (3/54c), Héroïne, Jersey (4/46c), Marie-Françoise, Médée, Milford et Salisbury (3/52c) ; de 1708 à 1711, Chasse ; Écureuil ; Fortune ; Petit-Soleil ; Rossignol ; Sorlingues ; Victoire ; Zéphyr. Brest assure également le soutien général des vaisseaux armées à Rochefort qui, en charge, ne peuvent plus remonter la Charente : 1) de Gennes pour l’Amérique australe, en 1695-1697 — Faucon-anglais (4/48c), Féconde, Félicité, Gloutonne, Séditieux et Soleil-d’Afrique ; 2) Colbert de Saint-Mar, en 1696 — Emporté, Excellent (3/68c), Griffon et Sirène (2/64c) ; 3) Renau d’Élissagaray pour les Indes occidentales, en 1696 — (Espérance-d’Angleterre (2/64c), Gaillard (4/48c), Intrépide (1/84c) et Phénix (3/62c), renforcés par Pontchartrain et des navires malouins ; 4) Le Moyne d’Iberville pour Terre-Neuve, l’Acadie et la baie d’Hudson, en 1696 — Envieux (3/50c), Profond et Wesp, puis en 1697 Palmier, Pélican (3/50c), Profond et Wesp ; 5) enfin Du Clerc pour le Brésil, en 1709-1711 — Atalante, Diane, Oriflamme (2/60c) et Valeur. Enfin, Brest joue aussi le rôle de base avancée pour des vaisseaux armés dans d’autres ports : Armés au Havre : la Martiale y séjourne en 1702 et1703 ; la Nymphe de 1702 à 1705 ; Dauphine n° 1 de 1703 à 1705 ; la Dryade 4/46c en 1703 et 1704 puis en 1706 et 1707 ; l’Embuscade et l’Entreprenante de 1705 à 1707) ; la Dauphine n° 2 (3/62c) de 1706 à 1710. L’Amitié ne fait que passer en 1711. Armés à Saint-Malo par Cassard, le Guillaume ou Saint-Guillaume s’y base en 1705 et 1706. Armés au Port-Louis : l’Hermione et la Mutine de retour de la côte de Guinée, en 1703 ; le Griffon (4/48c) 1704-1705 et 1712 ; le Superbe (3/56c) de 1708 à 1710. Aucun de ces armements n’aurait pu être réalisé sans l’apport financier de particuliers. Ils donnent du travail aux ouvriers des arsenaux et obligent l’adversaire à tenir la mer, alors même que l’armée navale de France ne compte plus. Heureux ou malheureux, tous ces vaisseaux arborent le pavillon blanc : pour les coalisés de la Grande Alliance, qui ne soucient pas l’origine de leur financement, entre 1695 et 1697, c’est la marine de France qui a tenu le devant de la scène et forcé la donne en Atlantique. Bien qu’il considère que l’opération de Pointis « rather piratical than national », Guillaume III n’en détourne pas moins les vingt-six bâtiments de l’escadre anglo-hollandaise de Nevill, désigné comme commandant en chef pour la Méditerranée ; les rescapés rentreront en Angleterre dans un état lamentable, ayant perdu plus de mille trois cents hommes. Au mois d’août 1697, ce sont encore vingt-quatre vaisseaux qui appareillent pour essayer de l’intercepter lors de son retour à Brest. À lui seul, Pointis a mobilisé la marine coalisée en Atlantique pendant plus de huit mois, ce qui a pesé directement sur le déroulement du conflit et conduit à la signature de la paix de Ryswick, l’Espagne ne pouvant supporter, à la fois, un échec militaire de cette ampleur en Amérique et la chute de Barcelone, rendue possible par l’abandon de la Méditerranée par Guillaume III. Parallèlement, l’avenir immédiat du Portugal est signé par la prise de Rio de Janeiro. Certains de ces armements ont été des succès financiers et plusieurs armateurs y ont fait des fortunes (Renau d’Élissagaray sur le Bon, Bellisle sur la Farouche, Pointis à Carthagène, Duguay-Trouin lors de la seconde opération au Spitzberg en 1703), d’autres ont été des échecs retentissants (de Gennes en Amérique du Sud, la tentative d’attaque du convoi d’or du Brésil par Duguay-Trouin). Ils ont rapporté à l’amiral de France un dixième facilement gagné et au roi un pauvre cinquième, voire un quart net, qui ne couvrait certainement pas ses dépenses. Dans le domaine militaire et stratégique, certains sont à la gloire les armes du roi (Pointis face aux escadres anglaises, Duguay-Trouin prenant la flotte de Saint-Ogne), d’autres sont passés pratiquement inaperçus (Duguay-Trouin au Spitzberg en 1695, Renau d’Élissagaray aux Antilles en 1696). Le profit financier intéresse les armateurs au premier chef. Le roi ne s’en désintéresse pas mais ce n’est pas là son objectif : il voit dans le prêt le meilleur moyen d’employer ses bâtiments alors qu’il n’a plus besoin de l’armée navale. Dans ces conditions, peut-on mesurer l’impact que ces armements ont eu sur l’ennemi ? Que seraient devenues les grandes compagnies de commerce sans le soutien royal, en particulier celle de l’Asiente, qui est tout droit tombé dans l’escarcelle des Anglais à Utrecht ? Combien de galions auraient réussi à traverser sains et saufs sans la protection d’un Ducasse ? Plus prosaïquement, à quel faîte la puissance de l’Angleterre serait-elle parvenue si, n’ayant souffert aucune pertes maritimes, ce pays n’avait de surcroît pas eu besoin de maintenir une flotte pour défendre son commerce ? À la suite de la signature du traité de Paris du 30 mars 1856 mettant fin à la guerre de Crimée, la France, la Grande-Bretagne et la Prusse proposèrent l’abolition de la course, afin d’établir un droit maritime international identique en temps de paix et en temps de guerre. Cette proposition reçut un accueil très favorable et le texte de la déclaration officielle fut ratifié le 16 avril par le concert des nations, à l’exception de l’Espagne, du Mexique et des Etats-Unis d’Amérique. Le mode d’action corsaire a pourtant survécu dans l’éventail des moyens de combat puisque, pendant les deux guerres mondiales, les corsaires allemands, de surface ou sous-marins, ont écumé l’Atlantique et l’océan Indien ; nul ne peut affirmer que cela ne se reproduira jamais. De même, une association entre moyens publics et financement privé, ou un partage des tâches entre l’État et des particuliers, peuvent-ils de nos jours être encore envisagés pour des opérations conduites dans un environnement maritime et militaire ? La réponse est « peut-être », à tout le moins à une échelle réduite, comme le montrent les deux exemples suivants. Le Pourquoi-Pas ?, bâtiment hydro-océanographique d’exploration profonde construit par le chantier Alstom de Saint-Nazaire suivant les normes de la marine marchande, a été cofinancé par la marine nationale (45%) et Ifremer ; coexploité sous statut civil, il est mis à la disposition du Service hydrographique et océanographique de la marine pendant 150 jours par an. Pour lutter contre la piraterie au large de la Somalie et dans le golfe d’Aden, la marine nationale ne se contente pas de participer à la force internationale qui patrouille la zone dangereuse : elle embarque des escouades de fusiliers marins à bord de certains thoniers-senneurs en pêche entre les Seychelles et la côte d’Afrique. Cela ne rappelle-t-il pas l’escorte des navires de la compagnie des Indes orientales sur lesquels en outre étaient embarqués des détachements de soldats des compagnies franches ? Jean-Yves NERZIC |
Dugay-Trouin
Nicolas OZANNE, Carte et plan explicatifs de la prise de Carthagène en Amérique en 1697.
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