Le manoir de Tromelin
Je te dirai : Tromelin...
Et, tout d'abord, aucune image ne te viendra...
Le premier homme connu ici s'appelait Milon ; c'est-à-dire Moulin.
Milon Tromelin : Moulin, de la Vallée du Moulin.
Qu'est-ce qu'un moulin, sinon, la répétition ?
Il avait pour écu :
« D'argent, à une croix pattée d'azur, avec un croissant de gueules en pointe »
et fut reconnu, à une montre de l'Évêché de Tréguier,
« parmi les aultres nobles qui ne s'arment point pour ce qu'ils sont vieilx et passant
l'âge de neuf ans », seigneur de Tromelin, de Brenn et de Lanoëverte.
La tour abrite un coquillage d'escalier.
Les manoirs sont des bernard-l'hermite :
le temps s'y solidifie en spirale.
Au matin, les mouettes gouailleuses, ar gwella gwen, se jettent à grand renfort de
chicanes sur les sillons ouverts, et le soir : le vol bref de l'engoulevent.
Pluie. Suintements. Pluie. Égouttements. Pluie. Feuilles.
C'est le rythme d'un concerto pour harpe, de Boëldieu.
De bruines mauves s'engendrent les jours,
hortensias dans leurs couleurs de vitrail,
corne de brume obsédante,
grimaces des bourrasques vertes englouties dans les gargouilles.
Les menthes et les reines-des-prés sont ici moins des fleurs que des poudres d'odeurs.
Il y eut des matins propres, frottés, récurés,
ciel bleu et récifs roses, sous neufs à montrer,
grande exhibition de la côte estivale,
points blancs amarrés dans l'anse,
cliquetant de toutes leurs drisses comme des clarines de montagne.
Il y eut des hivers burinés,
les mains calleuses et le sel durcissant la laine des paletots gris.
La mer est Maïa et ses rivages, multicéphales, se nomment : caps, pen, beg, perros.
Si les nouveaux habitants de Tromelin sentent parfois les fantômes, qu'ils n'en soient
pas étonnés.
C'est nous qui, embrouillés de fantasmes, encloués,
revenant de toutes nos forces
des étés adolescents,
sortons dans le courtil goûter la nuit.
Il y flotte, petits coups au cœur, un parfum de tabac :
de l'Amsterdamer
et l'on cherche des yeux celui qu'on sait tout près...
La rivière roule les noms de ses six moulins :
celui de l'Abbesse, celui de Tromelin, le Gruvel, le Milin Névez, le Milin Coz et le mou-
lin de Pontplaincoat.
Il y a longtemps,
quatre siècles peut-être,
un matin d'octobre et de collège à la ville
nous arracha les racines
avec toute la motte de terre autour.
Et les complaintes : celle du mariage des trembles,
celle du Korrigan tressant le crin des chevaux,
et, celle du clerc de Tromelin qui mourut d'amour,
montent à la mémoire d'argent pattée d'azur,
dans une odeur de pluie et de peupliers nouveaux.
Je te dirai Tromelin, pour accompagner la mer dans ses ressassements.
Le premier homme connu ici s'appelait Milon ; c'est-à-dire Moulin.
Milon Tromelin : Moulin, de la Vallée du Moulin.
Qu'est-ce qu'un moulin, sinon, la répétition ?
Il avait pour écu :
« D'argent, à une croix pattée d'azur, avec un croissant de gueules en pointe »
et fut reconnu, à une montre de l'Évêché de Tréguier,
« parmi les aultres nobles qui ne s'arment point pour ce qu'ils sont vieilx et passant
l'âge de neuf ans », seigneur de Tromelin, de Brenn et de Lanoëverte.
La tour abrite un coquillage d'escalier.
Les manoirs sont des bernard-l'hermite :
le temps s'y solidifie en spirale.
Au matin, les mouettes gouailleuses, ar gwella gwen, se jettent à grand renfort de
chicanes sur les sillons ouverts, et le soir : le vol bref de l'engoulevent.
Pluie. Suintements. Pluie. Égouttements. Pluie. Feuilles.
C'est le rythme d'un concerto pour harpe, de Boëldieu.
De bruines mauves s'engendrent les jours,
hortensias dans leurs couleurs de vitrail,
corne de brume obsédante,
grimaces des bourrasques vertes englouties dans les gargouilles.
Les menthes et les reines-des-prés sont ici moins des fleurs que des poudres d'odeurs.
Il y eut des matins propres, frottés, récurés,
ciel bleu et récifs roses, sous neufs à montrer,
grande exhibition de la côte estivale,
points blancs amarrés dans l'anse,
cliquetant de toutes leurs drisses comme des clarines de montagne.
Il y eut des hivers burinés,
les mains calleuses et le sel durcissant la laine des paletots gris.
La mer est Maïa et ses rivages, multicéphales, se nomment : caps, pen, beg, perros.
Si les nouveaux habitants de Tromelin sentent parfois les fantômes, qu'ils n'en soient
pas étonnés.
C'est nous qui, embrouillés de fantasmes, encloués,
revenant de toutes nos forces
des étés adolescents,
sortons dans le courtil goûter la nuit.
Il y flotte, petits coups au cœur, un parfum de tabac :
de l'Amsterdamer
et l'on cherche des yeux celui qu'on sait tout près...
La rivière roule les noms de ses six moulins :
celui de l'Abbesse, celui de Tromelin, le Gruvel, le Milin Névez, le Milin Coz et le mou-
lin de Pontplaincoat.
Il y a longtemps,
quatre siècles peut-être,
un matin d'octobre et de collège à la ville
nous arracha les racines
avec toute la motte de terre autour.
Et les complaintes : celle du mariage des trembles,
celle du Korrigan tressant le crin des chevaux,
et, celle du clerc de Tromelin qui mourut d'amour,
montent à la mémoire d'argent pattée d'azur,
dans une odeur de pluie et de peupliers nouveaux.
Je te dirai Tromelin, pour accompagner la mer dans ses ressassements.
Marie-Dominique Pot est née en 1946, à
Angers.
Titulaire d'un doctorat de sociologie et d'une maîtrise de philosophie, elle écrit depuis « toujours » et a publié depuis 1982 des textes poétiques dans les revues Europe, Phréatique, Froissart, Présence Culturelle etc. En 1984, à Nantes où elle vit, elle a créé une exposition La couleur dans l'entreprise pour la Chambre de Commerce. Les éditions ACL ont publié l'an passé son étude Naître et renaître, mille ans d'histoire : Saint-Herblain (Face B N° 6 page 38) et publieront prochainement sa thèse La couleur à l'usine : ses usages sociaux. Marie-Dominique Pot est également l'auteur d'un poème Monologue de disciple paru en 1984 aux éditions Traces. Enfin, elle intervient régulièrement dans des entreprises ou des établissements publics à propos de la couleur à l'usine, et signe des articles sociologiques dans de nombreuses revues de sciences humaines.
Titulaire d'un doctorat de sociologie et d'une maîtrise de philosophie, elle écrit depuis « toujours » et a publié depuis 1982 des textes poétiques dans les revues Europe, Phréatique, Froissart, Présence Culturelle etc. En 1984, à Nantes où elle vit, elle a créé une exposition La couleur dans l'entreprise pour la Chambre de Commerce. Les éditions ACL ont publié l'an passé son étude Naître et renaître, mille ans d'histoire : Saint-Herblain (Face B N° 6 page 38) et publieront prochainement sa thèse La couleur à l'usine : ses usages sociaux. Marie-Dominique Pot est également l'auteur d'un poème Monologue de disciple paru en 1984 aux éditions Traces. Enfin, elle intervient régulièrement dans des entreprises ou des établissements publics à propos de la couleur à l'usine, et signe des articles sociologiques dans de nombreuses revues de sciences humaines.
Le texte de Marie-Dominique Pot provient du numéro 7 de la revue Face B, du premier trimestre 1987.