Le "menhir des marsouins"
Le menhir des « Marsouins » qui s’élève sur la pointe de Primel, a hérité de ce nom suite à son redressement par l’infanterie de marine. A la demande de l’abbé Tanguy (cf. sa biographie), l’opération a été réalisée par une compagnie du 23e RIMa, présent sur les lieux en mars 1978, afin de nettoyer les rochers souillés par les 230 000 tonnes de pétrole échappées de l’ « Amoco Cadiz ». Rappelons que les militaires servant dans l’infanterie de marine sont communément appelés les « Marsouins ».
M. Loïc Le Tersec, à l’époque chef de section et responsable du redressement de la pierre couchée, nous livre son témoignage :
M. Loïc Le Tersec, à l’époque chef de section et responsable du redressement de la pierre couchée, nous livre son témoignage :
J'avais vingt-quatre ans et je faisais mon service militaire en tant que chef de section dans la 2eme compagnie du 23eme RIMa commandée par le capitaine Bernard François, lorsque la catastrophe de l'Amoco Cadiz s'est produite
Notre régiment fut mobilisé à deux reprises, une première fois au début de mai puis une deuxième fois en août, pour achever autant que possible le décapage des rochers avec des nettoyeurs à haute pression et dépolluer les plages du goémon et du sable souillés. Je me souviens que nous étions cantonnés sur la plage dans un centre de vacances ou un hôtel inoccupé qui est devenu aujourd'hui la 'Part des anges'
Un jour l'abbé Tanguy vint nous trouver en nous sollicitant pour un travail tout à fait différent ; il pensait avoir identifié sur la pointe de Primel un menhir couché depuis des siècles. Profitant de notre présence en masse et des quelques disponibilités que nous laissaient les fins de journée, il nous mis au défi de le relever.
Les Marsouins aiment les défis et nous acceptâmes sans hésiter ce challenge original. Abandonnant en fin de journée, cirés, poubelles pleines de varech huileux et tractopelles, nous le suivîmes au Nord sur la pointe jusqu'à ce qui ressemblait à l'époque à un long banc de granit en partie recouvert de mousse et d'herbe, et que les promeneurs n'auraient jamais imaginé être un menhir abattu.
Quelques pioches et pelles, et des heures plus tard, sous les conseils avisés du père Abbé, le bloc était complètement remis au jour et dégagé de l'humus herbeux et des ronces qui l'avaient progressivement envahi. Il apparaissait de toute sa longueur et il devenait évident alors que c'était bien une pierre destinée à être dressée. En effet, autant son sommet était plat, autant son autre extrémité était taillée en pointe grossièrement triangulaire.
De surcroît, en déblayant la terre à l'aplomb de cette base pointue, nous découvrîmes à environ quarante centimètres de profondeur, un ensemble de roches placées de telle sorte qu'elles formaient une fondation triangulaire sans conteste conçue pour recevoir de façon stable la pierre une fois dressée. Je me souviens encore de la satisfaction de l'abbé Tanguy, trouvant en cela la confirmation de ce qu'il avait pressenti : il s'agissait bien d'un menhir.
Mais le plus difficile restait à faire ! Compte-tenu du poids de l'objet, nos pauvres cordes et toute l'énergie des militaires étaient peu de chose. Il fallu revenir le jour suivant avec cette fois de quoi confectionner une chèvre puis une autre plus grande et surtout, avec des tire-forts. Quelques madriers pour faire levier, des blocs de roche pour caler au fur et à mesure la remontée progressive du caillou, les actions conjuguées des bras et du tire-fort, beaucoup de ahanements et de sueur, et enfin, succès, la pierre dressée de toute sa hauteur glissait dans le trou et se fichait dans sa souille de façon tellement précise et ferme que plus aucun doute ne pouvait subsister sur le fait qu'elle s'y trouvait des siècles auparavant.
Ce fut un intense moment de plaisir nous récompensant de tous ces efforts.
Le reste n'était plus que des détails, essentiellement le remblayage de la base avec la terre voisine pour finir le chantier, démontage des chèvres et rangement des outils, retour au cantonnement pour lever et partager le verre de la victoire.
Et puis le temps a passé… Ce n'est que bien des années plus tard, en revenant sur les lieux pendant mes vacances de 2013 et en faisant des recherches sur Plougasnou que j'ai eu la surprise et aussi la fierté d'apprendre que la coutume locale avait retenu le nom de "Menhir des Marsouins" pour désigner ce monolithe redressé, honorant ainsi nos modestes efforts du moment, mais au-delà sans aucun doute, l'engagement intense et soutenu affiché par les militaires pour lutter avec vous contre les dégâts de cette monstrueuse pollution.
Puisse le Menhir des Marsouins rester désormais longtemps fièrement dressé face à la mer
Colonel (H) Loïc Le Tersec
Documents : Colonel (H) Loïc Le Tersec ; photo : P. Virion
Une remarque de Michel Le Goffic, ancien archéologue départemental :
C’est vrai que cette lettre est intéressante et laisse entrevoir une possibilité de « vrai menhir », toutefois il est regrettable qu’un archéologue n’ait pas été missionné pour effectuer la recherche du calage et, sans doute, s’il s’agit bien d’un vrai menhir, aurait-il trouvé des indices permettant d’authentifier le mégalithe, comme quelques charbons de bois (feu rituel) tessons de poterie ou même silex et/ou hache polie. Il aurait aussi fallu faire le relevé du calage et en prendre des photos, toutes choses que j’ai faites lors de la restauration et ré-érection du menhir dit de la Républicaine à Crozon qui avait été dynamité par les allemands.
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L'abbé André Tanguy est né le 4 janvier 1920 à Morlaix. Séminariste à Quimper, il poursuit ses études de théologie au Mans, où il sera ordonné prêtre le 15 juin 1946. Pendant sept ans, il est professeur d'anglais au collège N.D à La Flèche (Sarthe). Puis, en tant qu'aumônier, il rejoint Aix-en-Provence et Marseille, au service de la Légion étrangère. En 1957, André Tanguy va poursuivre sa vie de prêtre auprès des Enfants de Troupe à Tulle (Corrèze), puis au Mans, de 1962 à 1975 date à laquelle il prend sa retraite. De retour à Morlaix, il se consacre au bénévolat, toujours en tant qu'aumônier. Il décède le 19 octobre 2008.
Il fit entreprendre plusieurs recherches et fouilles. Plusieurs de ses trouvailles se trouvent actuellement au musée de Morlaix. En 1978, c'est à son initiative qu'une unité d'infanterie de marine venue pour nettoyer les plages souillées par l'Amoco Cadix redressa le menhir qui porte aujourd'hui le nom de "Menhir des Marsouins". |