Anne de BRETAGNE en visite à Saint-Jean-du-Doigt ?
Le traité de Blois, arrangement diplomatique entre le roi de France Louis XII, l'empereur Maximilien d'Autriche et Philippe le Beau, roi consort de Castille et Léon est signé en septembre 1504.
Il prévoit le mariage de Claude, fille de Louis XII et d'Anne de Bretagne et de Charles de Luxembourg, le futur Charles Quint, dans l'espoir de mieux sauvegardé l'indépendance de la Bretagne. Mais Louis XII, tombé gravement malade, rédige un testament dans lequel les fiançailles de Claude et Charles sont rompues et il ordonne un mariage avec François d'Angoulême, futur François 1er.
Affligée, Anne de Bretagne part alors faire un tour dans son duché, et à son retour tente de faire revenir le roi sur sa décision. Louis XII refuse et réunit les États Généraux qui approuvent ce mariage et fixent la date des fiançailles. Anne ne réussit qu'à ajouter une clause au contrat : s'il lui naissait un fils ou une fille, elle se réserve la possibilité de disposer du duché en sa faveur.
Il prévoit le mariage de Claude, fille de Louis XII et d'Anne de Bretagne et de Charles de Luxembourg, le futur Charles Quint, dans l'espoir de mieux sauvegardé l'indépendance de la Bretagne. Mais Louis XII, tombé gravement malade, rédige un testament dans lequel les fiançailles de Claude et Charles sont rompues et il ordonne un mariage avec François d'Angoulême, futur François 1er.
Affligée, Anne de Bretagne part alors faire un tour dans son duché, et à son retour tente de faire revenir le roi sur sa décision. Louis XII refuse et réunit les États Généraux qui approuvent ce mariage et fixent la date des fiançailles. Anne ne réussit qu'à ajouter une clause au contrat : s'il lui naissait un fils ou une fille, elle se réserve la possibilité de disposer du duché en sa faveur.
De juin à fin septembre 1505, la reine Anne entreprend donc de faire un tour de Bretagne. Ses vassaux la reçoivent fastueusement et elle se fait connaître du peuple à l'occasion de festivités, de pèlerinages et d'entrées triomphales dans les villes du duché.
En août, elle est à Morlaix. La tradition, rapportée par Albert Le Grand, dominicain du couvent de cette ville, veut que la duchesse soit venue à Plougasnou, en visite à la chapelle Saint-Jean-du-Doigt, pour y soigner une fluxion de son œil droit (1). Voici ce que Louis Le Guennec a retenu de cet épisode légendaire (2) : « Le recteur suivant, Messire Raoul de Coatanscours, de la maison de Kerveny en Plougasnou, assista en 1506 au miracle survenu à l’occasion du voyage d’Anne de Bretagne et de l’intention où elle fut de se faire apporter la relique de Saint-Jean à Morlaix pour l’appliquer sur son œil malade. Albert Le Grand rapporte que le clergé du pays s’étant rassemblé pour escorter le Saint Doigt, posé sur un riche brancard que portaient Raoul de Coatanscours, recteur de Plougasnou, et Salomon de Kergournadec’h, gouverneur de la chapelle, se préparait à l’escorter jusqu’à Morlaix, mais à peine fut-on sorti du cimetière que le reliquaire éprouva une brusque secousse. On l’ouvrit, et on constata que le Doigt ne s’y trouvait plus : il était retourné dans son église. |
Dinan, église Saint-Malo, entrée d’Anne de Bretagne à Dinan lors de son tour de Bretagne en 1505. Baie 23, mur nord de la nef –Atelier R. Desjardins, Angers 1926.
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A la nouvelle de ce prodige, Anne de Bretagne se jeta à genoux en s’écriant : « Ce n’est pas à vous, précieuse Relique de venir à moi, mais c’est plutôt moi qui dois aller vers vous ! ». Elle voulut d’abord faire le voyage à pied, et ne consentit qu’avec peine à se laisser conduire en litière jusqu’à Lanfestour, à plus d’une lieue de Saint-Jean.
Arrivée au terme de son voyage, la souveraine assista à plusieurs cérémonies religieuses, et, le lendemain, se fit appliquer le doigt sur son œil gauche, enflé par « une difluxion » qui disparut instantanément. Elle témoigna sa reconnaissance en faisant à l’église une première offrande et en donnant des ordres pour son achèvement »
Arrivée au terme de son voyage, la souveraine assista à plusieurs cérémonies religieuses, et, le lendemain, se fit appliquer le doigt sur son œil gauche, enflé par « une difluxion » qui disparut instantanément. Elle témoigna sa reconnaissance en faisant à l’église une première offrande et en donnant des ordres pour son achèvement »
Aucune archive, aucun élément architectural ne peut confirmer ou infirmer ces faits. En tout état de cause, la reine n'a pas pu financer, comme il est dit, la construction de l'église qui était en grande partie achevée. Les travaux suivants furent la reprise de la façade occidentale en 1512, l’élévation de la flèche de la tour de 1566 à 1571, la construction de l’oratoire en 1577 et le reliquaire occidental en 1618. Tout le reste était déjà en place.
Le récit du moine Albert Le Grand est donc sujet à caution ; l’objectif était d’édifier ses « ouailles » et non de relater une vérité historique. Jean de Trigon a repris dans un de ses ouvrages (3) le voyage légendaire de la reine ; elle s’arrête chez Pierre de Kersulguen au manoir de La Boissière en Ploujean et à Kerjean en Plouezoc’h où Jeanne de Quelen, épouse de Jean Pastour, lui fait déguster de merveilleux petits gâteaux eu beurre (4) ; quand elle décide de poursuivre son chemin à pied, elle laisse son empreinte sur une croix désormais appelée Croaz ar Rouannez (de la Reine), et au retour vers Morlaix, elle est sauvée d’une attaque de malandrins par la famille Le Gac près de l’anse de Terenez.
Déjà Le Guennec mettait en cause cette tradition populaire et les libéralités qu’on attribuait à la reine : «… don du grand calice, des bannières, de la croix processionnelle, construction de la maison du gouvernement, pavage des chemins, etc., mais tout cela est démenti par les anciens titres. On ajoute qu’elle anoblit tous les habitants de Saint-Jean, et que c’est à sa faveur insigne que la paroisse de Plougasnou doit avoir été habitée par une telle quantité de gentilshommes ; il suffit de parcourir les réformations et les montres du quinzième siècle pour y trouver déjà citées presque toutes les familles soi-disant anoblies par la duchesse Anne ».
La présence de la souveraine à Saint-Jean ne pouvait qu’amplifier le renom de ce pèlerinage et on peut penser que les notables locaux avaient tout intérêt à propager chez les fidèles et pèlerins une version quasi miraculeuse de cette visite. N’oublions pas que dans la garde personnelle de la reine figurait l’un de ses maîtres d’hôtel, Meriadec de Guicaznou, capitaine des ville et château de Morlaix et que le frère de ce dernier, Guillaume de Guicaznou était un ecclésiastique de première importance, protonotaire apostolique, chanoine de Tréguier, prévôt de Notre-Dame du Mur et recteur de plusieurs paroisses.
Mais à l’inverse peut-on affirmer qu’Anne de Bretagne n’est jamais venue à Saint-Jean-du-Doigt ? La légende n’a-t-elle pas un fond de vérité ?
Il existe encore à Plougasnou une signature royale. Sur la cuve baptismale de l’église de Plougasnou, est inscrite la devise des Montfort "A ma vie" et l’hermine de Bretagne, le lys de France et deux feuilles avoisinent ce texte. Serait-ce un don de la reine ou un hommage des habitants de Plougasnou à leur souveraine lors de son possible passage ?
Le récit du moine Albert Le Grand est donc sujet à caution ; l’objectif était d’édifier ses « ouailles » et non de relater une vérité historique. Jean de Trigon a repris dans un de ses ouvrages (3) le voyage légendaire de la reine ; elle s’arrête chez Pierre de Kersulguen au manoir de La Boissière en Ploujean et à Kerjean en Plouezoc’h où Jeanne de Quelen, épouse de Jean Pastour, lui fait déguster de merveilleux petits gâteaux eu beurre (4) ; quand elle décide de poursuivre son chemin à pied, elle laisse son empreinte sur une croix désormais appelée Croaz ar Rouannez (de la Reine), et au retour vers Morlaix, elle est sauvée d’une attaque de malandrins par la famille Le Gac près de l’anse de Terenez.
Déjà Le Guennec mettait en cause cette tradition populaire et les libéralités qu’on attribuait à la reine : «… don du grand calice, des bannières, de la croix processionnelle, construction de la maison du gouvernement, pavage des chemins, etc., mais tout cela est démenti par les anciens titres. On ajoute qu’elle anoblit tous les habitants de Saint-Jean, et que c’est à sa faveur insigne que la paroisse de Plougasnou doit avoir été habitée par une telle quantité de gentilshommes ; il suffit de parcourir les réformations et les montres du quinzième siècle pour y trouver déjà citées presque toutes les familles soi-disant anoblies par la duchesse Anne ».
La présence de la souveraine à Saint-Jean ne pouvait qu’amplifier le renom de ce pèlerinage et on peut penser que les notables locaux avaient tout intérêt à propager chez les fidèles et pèlerins une version quasi miraculeuse de cette visite. N’oublions pas que dans la garde personnelle de la reine figurait l’un de ses maîtres d’hôtel, Meriadec de Guicaznou, capitaine des ville et château de Morlaix et que le frère de ce dernier, Guillaume de Guicaznou était un ecclésiastique de première importance, protonotaire apostolique, chanoine de Tréguier, prévôt de Notre-Dame du Mur et recteur de plusieurs paroisses.
Mais à l’inverse peut-on affirmer qu’Anne de Bretagne n’est jamais venue à Saint-Jean-du-Doigt ? La légende n’a-t-elle pas un fond de vérité ?
Il existe encore à Plougasnou une signature royale. Sur la cuve baptismale de l’église de Plougasnou, est inscrite la devise des Montfort "A ma vie" et l’hermine de Bretagne, le lys de France et deux feuilles avoisinent ce texte. Serait-ce un don de la reine ou un hommage des habitants de Plougasnou à leur souveraine lors de son possible passage ?
LES RECTEURS de PLOUGASNOU
Les recteurs de Plougasnou affirment fortement leur volonté de développer le pèlerinage de Saint-Jean-du-Doigt et d'élever une église digne de la relique qu'elle renferme. Certes le duc de Bretagne Jean V n'est pas indifférent à cette création ; il donne de l'argent pour construire un reliquaire et fait apposer ses armes sur le porche Sud. Mais les véritables instigateurs restent néanmoins les ecclésiastiques en charge de la paroisse et du pèlerinage. Ils ont tous un logis non loin de l'église ; Prigent Marc'hec à Pont-ar-Glec'h (1460), Guyomar de La Haye à Kericuff (1490), Louis de Penmarc'h à Kerjezequel (1498) ; Raoul de Coatanscour possède devant la façade occidentale de l'église une maison qu'il cède à la fabrique en 1510.
Louis de Penmarc’h recteur 1493-1502
Le 3 septembre 1493, Louis de Penmarc'h devient propriétaire d'un hôtel et de terres, au terroir de Kerjezequel en Plougasnou, par échange d'une maison à Lanmeur cédée à Olivier Riou. Il est à cette occasion cité comme protonotaire du Saint-Siège Apostolique.
Le 8 juillet 1498, lors d'un jugement pour l'exemption du fouage de cette maison, il est nommé archidiacre de Marseille et recteur de Plougasnou. De même le 16 juillet 1498, quand Guillaume de La Forest lui donne un "demy pareffart" froment et une terre à Kerjezequel ; il est aussi scholastique et chanoine de Saint-Brieuc (5).
Louis de Penmarc'h est le frère d'Alain III, seigneur de Penmarc'h en Saint-Frégant, chambellan de François II et d'Anne de Bretagne qui lui avait conféré la qualité de banneret de Bretagne et de Christophe de Penmarc'h, évêque de Dol en 1474 puis de Saint-Brieuc de 1478 à 1505.
Neveu du cardinal Alain de Coëtivy, Louis de Penmarc'h ne réside pas à Plougasnou ; il est archidiacre de Marseille et se rend assez souvent à Rome. Cependant comme recteur de Plougasnou il prend une part active à l'achèvement de l'église de Saint-Jean-du-Doigt. L'achat d'un hôtel près de celle-ci prouve son attachement à ce lieu et au développement de son pèlerinage. Décédé en 1502 il est inhumé à la cathédrale de Saint-Brieuc par les soins de son frère Christophe.
LES PROCUREURS DE LA FABRIQUE DE SAINT-JEAN-DU-DOIGT
Dans la première moitié du XVIe siècle, la chapelle de Saint-Jean-du-Doigt est administrée par un laïc noble et un prêtre sous l'obédience du recteur de Plougasnou. Even Tremoign1 est l'un d'entre eux. Signalé dans les comptes de la fabrique de 1499 à 1507, il fait partie d'une suite de prêtres dont on a gardé les noms tels Guillaume Le Moual cité en 1483, Yves Marzin connu de 1509 à 1512, Yves Guegen de 1516 à 1520, Rolland Roux en 1525-1526, Jehan Colen de 1528 à 1533 etc…
Les archives départementales conservent une dizaine de tractations qu'Even Tremoign entreprend pour la chapelle avec les donateurs nobles ou roturiers, consistant pour la majorité en dons de quartiers de froment pour acquérir l'emplacement d'une tombe ou la célébration d'une messe perpétuelle. Ces mêmes archives nous apprennent qu'il est lui-même inhumé dans le bas de la chapelle et qu'il a légué à la fabrique 10 quartiers froment de rente, mesure de Morlaix, somme importante. Une messe est encore célébrée à sa mémoire en 1555-1556. Even Tremoign appartient à cette lignée de personnages qui consacrent une bonne partie de leur vie à la grandeur de l'église et du pèlerinage de Saint-Jean-du-Doigt. Il veut demeurer après sa mort dans ce sanctuaire qui est sa véritable maison et dont l'œuvre lui est chère. La duchesse Anne de Bretagne ou le recteur Louis de Penmarc'h ont-ils autant donné ?
Christian Millet
Louis de Penmarc’h recteur 1493-1502
Le 3 septembre 1493, Louis de Penmarc'h devient propriétaire d'un hôtel et de terres, au terroir de Kerjezequel en Plougasnou, par échange d'une maison à Lanmeur cédée à Olivier Riou. Il est à cette occasion cité comme protonotaire du Saint-Siège Apostolique.
Le 8 juillet 1498, lors d'un jugement pour l'exemption du fouage de cette maison, il est nommé archidiacre de Marseille et recteur de Plougasnou. De même le 16 juillet 1498, quand Guillaume de La Forest lui donne un "demy pareffart" froment et une terre à Kerjezequel ; il est aussi scholastique et chanoine de Saint-Brieuc (5).
Louis de Penmarc'h est le frère d'Alain III, seigneur de Penmarc'h en Saint-Frégant, chambellan de François II et d'Anne de Bretagne qui lui avait conféré la qualité de banneret de Bretagne et de Christophe de Penmarc'h, évêque de Dol en 1474 puis de Saint-Brieuc de 1478 à 1505.
Neveu du cardinal Alain de Coëtivy, Louis de Penmarc'h ne réside pas à Plougasnou ; il est archidiacre de Marseille et se rend assez souvent à Rome. Cependant comme recteur de Plougasnou il prend une part active à l'achèvement de l'église de Saint-Jean-du-Doigt. L'achat d'un hôtel près de celle-ci prouve son attachement à ce lieu et au développement de son pèlerinage. Décédé en 1502 il est inhumé à la cathédrale de Saint-Brieuc par les soins de son frère Christophe.
LES PROCUREURS DE LA FABRIQUE DE SAINT-JEAN-DU-DOIGT
Dans la première moitié du XVIe siècle, la chapelle de Saint-Jean-du-Doigt est administrée par un laïc noble et un prêtre sous l'obédience du recteur de Plougasnou. Even Tremoign1 est l'un d'entre eux. Signalé dans les comptes de la fabrique de 1499 à 1507, il fait partie d'une suite de prêtres dont on a gardé les noms tels Guillaume Le Moual cité en 1483, Yves Marzin connu de 1509 à 1512, Yves Guegen de 1516 à 1520, Rolland Roux en 1525-1526, Jehan Colen de 1528 à 1533 etc…
Les archives départementales conservent une dizaine de tractations qu'Even Tremoign entreprend pour la chapelle avec les donateurs nobles ou roturiers, consistant pour la majorité en dons de quartiers de froment pour acquérir l'emplacement d'une tombe ou la célébration d'une messe perpétuelle. Ces mêmes archives nous apprennent qu'il est lui-même inhumé dans le bas de la chapelle et qu'il a légué à la fabrique 10 quartiers froment de rente, mesure de Morlaix, somme importante. Une messe est encore célébrée à sa mémoire en 1555-1556. Even Tremoign appartient à cette lignée de personnages qui consacrent une bonne partie de leur vie à la grandeur de l'église et du pèlerinage de Saint-Jean-du-Doigt. Il veut demeurer après sa mort dans ce sanctuaire qui est sa véritable maison et dont l'œuvre lui est chère. La duchesse Anne de Bretagne ou le recteur Louis de Penmarc'h ont-ils autant donné ?
Christian Millet
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1 - Albert Le Grand, la Vie des saincts de la Bretaigne armorique, 1637
2 - Louis Le Guennec, Notes historiques et archéologiques sur la commune de Plougasnou – Association Patrimoine de Plougasnou, 2017 p. 33-34.
3 - Jean de Trigon, Plougasnou et sa trêve de Saint-Jean-du-Doigt – Section Patrimoine du Foyer rural de Plougasnou, 1998 p. 37-39
4 - La croix de chemin voisine prendra le nom de « Croaz couignic an aman ».
5 - Arch. dép. du Finistère G 1, G 12 et G 30.
6 - Arch. dép. du Finistère 245 G1, G12, G30, G44.
2 - Louis Le Guennec, Notes historiques et archéologiques sur la commune de Plougasnou – Association Patrimoine de Plougasnou, 2017 p. 33-34.
3 - Jean de Trigon, Plougasnou et sa trêve de Saint-Jean-du-Doigt – Section Patrimoine du Foyer rural de Plougasnou, 1998 p. 37-39
4 - La croix de chemin voisine prendra le nom de « Croaz couignic an aman ».
5 - Arch. dép. du Finistère G 1, G 12 et G 30.
6 - Arch. dép. du Finistère 245 G1, G12, G30, G44.